le 23 Avril 2022

De récents articles parus dans la “Voix du Nord” ainsi qu’un livre écrit par Madame Delaporte révèlent manifestement des crimes commis envers des enfants ayant vécu une partie de leur jeunesse et de leur scolarité au village d’enfants de Riaumont.
Cela durerait depuis 60 ans….

Etant né au début des années 70 à Liévin, ayant grandi dans la rue accédant au “village” de Riaumont, ayant partagé mes bancs d’école avec des garçons vivant à Riaumont, ayant commencé ma vie d’ homme dans ce quartier, j’ai d’abord été interloqué par ces “révélations”, puis choqué par les termes utilisés pour briser cette œuvre que je connais depuis toujours.

Je ne connais pas ces personnes, ces victimes, ces pauvres enfants qui ont grandi avec cette détresse qui devait être déjà bien grande en arrivant à Riaumont. Je ne me permets pas de remettre en cause leurs déclarations. Je crois d’ailleurs que la direction de l’institut a toujours été très claire et à toujours œuvré pour que la Justice soit faite et que les auteurs de délits ou de crimes avérés soient condamnés. Qu’il me soit permis alors, dans ce même souci de justice de raconter ce que j’ai vécu dans cette rue Thiers de Liévin à l’heure où l’état français, où les juges plaçaient des mineurs dans cette institution.

Liévin en 1970, comme dans toutes les cités minières du Pas-de calais, c’est une ville où l’on vit difficilement et avec peu de choses. Ce sont ces corons, pas encore rénovés ou les bonheurs simples côtoient la misère, ou la détresse engendre la générosité de ceux qui n’ont rien.

Je suis né et j’ai grandi donc à quelques centaines de mètres de ce village construit par les mains et la volonté d’un homme que je n’ai rencontré qu’une fois mais qui a bouleversé ma vie ; le Père Albert Revet. Ma famille n’était pas riche, ni même catholique, encore moins aristocratique ou intégriste…Pourtant mes premiers jeux d’enfants ont eu pour terrain le bois de Riaumont, mes premiers camarades étaient ces garçons “difficiles” de Riaumont. On emploie très facilement aujourd’hui ce terme de “jeunes” comme s’il donnait droit à tout, excusait tout, devait pardonner tout mais je crois que mes parents n’étaient pas toujours rassurés de me savoir faire les 400 coups dans le bois avec des garçons considérés par tous comme des délinquants. Je n’ai pourtant jamais eu le moindre problème. Il y avait comme un sens de l’honneur dans cette bande de “vauriens” à laquelle j’appartenais comme par adoption. Chose curieuse pour ces petits gars qui bien souvent étaient eux même des “adoptés” ou des “abandonnés”.

C’était également des enfants que je retrouvais plus tard à l’école primaire, et avec qui j’étudiais ou jouais dans la cour de récréation. J’ai en particulier côtoyé bon nombre de ces enfants cambodgiens ou Laotiens chassés de leur pays par la Guerre. Ces boat people dont personne ne voulait, le père Revet leur a ouvert son institut. Je me souviens encore 40 ans plus tard, avoir vu leurs sourires réapparaitre après des mois passés ballotés d’un bateau à l’autre, d’un pays à l’autre. Ils ont souri à nouveau parce qu’enfin, ils se sentaient en sécurité.

J’affirme sur l’honneur n’avoir absolument jamais entendu de plaintes, alors même que ces enfants n’étaient pas sous le regard des éducateurs laïcs ou religieux de Riaumont. C’est la raison pour laquelle je trouve complètement idiot et incorrect d’utiliser des mots comme ceux de ” vase clos”, d’internement, d’omerta pour qualifier la vie des enfants recueillis ou placés à Riaumont. Ces gosses allaient à l’école du village, comme moi, comme tous…

Ou alors il faudrait également associer la vie de famille à un enfermement, un vase clos, l’école et tous les internats à de l’internement (notamment dans les écoles militaires ou des mineurs marchent au pas et sont “dressés par l’état français.)

Mes passages au “village” ne m’ont jamais causé le moindre malaise, c’était mon autre “chez moi”, comme ça l’était pour tous les gosses des corons avoisinant. Les religieux ou les laïcs m’ont toujours reçu avec beaucoup de bonté et de gentillesse malgré toutes leurs occupations. Et je veux parler du Père Revet et du Père Argouarc’h en particulier avec beaucoup de reconnaissance. Le premier m’a fait comprendre à moi qui n’était qu’un adolescent que j’avais une chance inouïe d’avoir une famille , des parents qui m’aimaient et qui m’aidaient à me construire à grandir. Que je pouvais grandir sereinement et que la vie était une aventure merveilleuse… Quant au Père Argouarc’h, il devint cet exemple que l’on cherche grand adolescent lorsqu’on bouscule un peu les références ou modèles familiaux. Lorsque devenu adulte je revenais au village sans prévenir, sans préavis, il m’a toujours reçu avec beaucoup de charité, de gentillesse, de disponibilité. Toujours prêt à me montrer les derniers travaux, les derniers projets de camps, d’aventures, de voyage à l’étranger…

En 50 ans, je n’ai jamais vu à Riaumont de grilles fermées ni pour entrer, ni pour sortir. Ce serait tellement illusoire et ridicule d’ailleurs de retenir quelqu’un là-bas lorsqu’on connaît les lieux.

Depuis les années ont passées et je suis devenu père de famille. Comme mes grands-parents, mineurs et commerçants , comme mes parents avant moi, mes enfants sont venus à Riaumont. Ils ont couru et joué dans ses allées. Nous y avons dormi, même, alors que nous venions de loin nous recueillir sur les tombes de ma famille. Nous avons également pensé, ma femme et moi, y faire entrer un de nos enfants en classe de 5eme parce qu’il semblait attiré par le travail manuel. Nous sommes allés à Riaumont comme des dizaines de milliers d’autres familles. Comme des dizaines de milliers d’autres enfants, de familles nous avons chantés, nous avons dansés, nous avons été heureux…

Alors en effet, je me mets moi aussi, maintenant à rêver d’un procès… Du plus grand de ce siècle et du siècle passé. De ce grand procès où l’on jugera ces grands criminels, ces fossoyeurs de l’humanité qui ont décidé la construction de ces corons crasseux, de ceux qui ont enterré le bonheur auquel nous aspirions tous au fond de mines qui asphyxient, de ceux qui ont créé pour leur plus grand profit ou pour le pouvoir cette misère, ceux qui ont engendrés ces déchirements familiaux, ceux qui ont affamés et assassinés des hommes par milliers.  Le procès de ces personnes qui entendent idéologie lorsqu’on parle de pédagogie, qui vocifèrent au nazisme lorsqu’ils voient un uniforme, le procès de ceux qui n’ont rien compris et parce que leur conscience leur reprochent, ils ne supportent pas de n’avoir rien compris et condamnent à tour de bras, provoquant plus de misères, plus détresse, plus de déchirements.

Je ne suis finalement qu’un enfant des corons, mais moi aussi je crie Justice pour ne pas qu’on m’arrache ou qu’on détruise ce qui a été comme pour des milliers d’autres enfants un havre de paix et de joie.

Franck-Olivier B.

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