Scoutisme et thomisme

On a vu que les fondateurs des SdF cherchent à théoriser et rationaliser la pédagogie de BP, et ils se rendent ainsi compte qu’elle se conforme tout-à-fait à la philosophie réaliste , scolastique issue d’Aristote, repensée par saint Thomas d’Aquin et adoptée par l’Eglise. Car ” le scoutisme n’est pas une philosophie, mais une éducation, et comme toute éducation, il implique une philosophie .” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°79, janv.1931, p.2).

Référence permanente depuis le XIIIème siècle, davantage encore à l’honneur depuis le concile de Vatican I, en 1870, le thomisme est de nouveau prôné par Léon XIII dans “Aeterni Patris”. Il devient obligatoire dans tous les séminaires depuis que saint Pie X, par le motu proprio “Doctoris angelici” de 1914, exige son retour face au modernisme. De même, dans l’encyclique “Pascendi”, il précise, parmi les “remèdes contre le modernisme”, : “Nous prescrivons […] la philosophie que nous a léguée le Docteur angélique” (Pie X,”Pascendi“, 1907, Sion, Garches, p.52).

Or les plus grands théologiens thomistes se concentrent, au début de ce siècle, à Louvain, d’où il est probable qu’ils aient influencé les religieux français exilés en Belgique, tels les pères Sevin et Doncœur. L’abbé Richaud est le premier à relever la conformité entre thomisme et scoutisme, dans un article de 1923 . “Mais qui aurait pensé à voir dans saint Thomas d’Aquin le théoricien du scoutisme? Et pourquoi pas? […] . En fouillant dans la Somme théologique , on y trouvera peut- être un jour le code moral du parfait seconde classe.” (Abbé Richaud, in Le Chef n°13, mars 1923, p.177).

D’ailleurs, la grande majorité des ouvrages SdF de l’entre-deux- guerres sont écrits par des prêtres, tous formés à la théologie de saint Thomas. De plus, trois dominicains, fils spirituels du Docteur angélique, font partie des aumôniers importants de l’entre-deux-guerres : les pères Héret et Maréchal , parmi les pionniers du scoutisme catholique, bientôt rejoints par le père Forestier, aumônier général à partir de 1936. Ce dernier remarque : “N’ai-je pas tenté de montrer que, bien comprise, la méthode scoute était en harmonie avec la morale thomiste ?” (Père Forestier, o.p., Scoutisme, méthode et spiritualité, Le Cerf, Paris, 1940, p.58). ” Il n’est pas sûr que le scoutisme ait su tout cela quand il est né. S’il est thomiste, il se pourrait bien que ce fût sans le savoir! ” (Père Forestier, op.cit., p.5). Et le père Forestier parle bien de la pédagogie de BP, non pas de ce qu’en ont fait les SdF. Mais les fidèles catholiques aussi sont formés à cette philosophie.

Dans le fond d’archives de Paul Coze, conservé au laboratoire scout de Riaumont, on trouve une lettre où le jeune ASM A. Fayol explique l’esprit de patrouille à un ami par un tableau, en-dessous duquel il écrit : “Excuse-moi d’avoir employé la terminologie d’Aristote” (Lettre du 26 novembre 1924 de A. Fayol, ASM à la IIème Paris, à “Guépard”).

Les catholiques s’avèrent donc emprunts de cette scolastique au point de l’utiliser dans leur correspondance privée. Et quand on demande à Edouard de Macedo , sérieusement formé au niveau religieux à la Réunion d’Eylau, les motifs pour lesquels il adhère au scoutisme, il répond : “Le premier, dois-je l’avouer ?, est à caractère philosophique, parce que j’ai vu dans le scoutisme, dans son ordre, dans sa loi, une vivante application du thomisme. Le scoutisme, c’est la doctrine de saint Thomas d’Aquin vécue.” (cité par Louis Fontaine, Un jour…les scouts, éditions de l’Orme Rond, 1981). À nous de voir en quoi cette pédagogie met en pratique la philosophie réaliste.