L’importance de la famille

Pour commencer, la famille constitue la cellule de base de la société chrétienne, en opposition avec tout l’individualisme issu de la Révolution . Si la religion s’occupe des âmes pour les mener au salut éternel, elle ne considère la société qu’en terme de familles . Déjà, le scoutisme, école de chef, apprend au garçon à tenir une famille. “Nous nous préparons à notre rôle futur de père de famille”, affirme un commissaire (Commissaire Rodet, in Le Chef de févr.1937, p.129). De plus, la vie communautaire que mènent les scouts en camp entraîne bien à la vie de famille, à l’acceptation des autres, à des responsabilités précises, aux services. D’autant plus que la patrouille reproduit quelque peu le modèle familial. Chacun doit y tenir une place particulière, qui le met au service de la communauté . Et, sans parler de la future famille, un scout doit normalement améliorer son comportement actuel au sein de sa famille.

Elle constitue même la première bénéficiaire de la formation scoute. Le troisième principe, “le devoir du scout commence à la maison“, lui réserve le privilège des BA quotidiennes. “Nous devons servir dans la famille d’abord : dans celle que nous soutenons, que nous consolons, ou dans celle que nous préparons et que nous fondons” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.78). Et cette priorité découle du Décalogue lui-même. Le troisième principe ” c’est la traduction du quatrième commandement de Dieu : tes père et mère honoreras” (Père Sevin, s.j., Pour devenir SdF, Spes, Paris, 1931, p.27). De même, la famille constitue le premier terrain d’extension de l’esprit scout. Surtout que, cellule de base de la société, elle risque d’introduire partout l’idéal scout. C’est donc en son sein qu’il faut tout d’abord appliquer les vertus chevaleresques. “Les scouts, discrètement, peuvent jouer un grand rôle s’il s’agit de réinstaurer dans la famille les vieux usages de courtoisie chrétienne”(Père Forestier, o.p., in Le Chef de déc.1933, p.666).

De plus, le scoutisme ne réserve pas sa méthode à la vie de troupe, mais il estime que ses procédés peuvent servir à toute éducation chrétienne. Le père Sevin en explique bien les possibilités d’application à un collège dans Le Scoutisme . Mais cette pédagogie peut aussi s’appliquer en famille. “Un projet national : l’Union des familles SdF […], destinée d’abord aux parents de nos garçons, et ensuite susceptible de s’étendre à tous les foyers où l’on serait désireux d’appliquer les mêmes principes d’éducation et les mêmes maximes de vie morale personnelle […]  Proposer aux parents d’adopter la loi scoute comme code moral de la maison et de donner eux-mêmes à leurs enfants l’exemple de son observation” (in Le Chef n°11-12, janv.-févr.1923, p.165). Ce projet germe alors que la Fédération existe depuis à peine trois ans, mais, finalement, il n’est jamais mis à exécution officiellement, même si certains parents appliquent plus ou moins la pédagogie scoute. Une telle initiative aurait plutôt dû attendre qu’arrivent à l’âge de parents d’anciens scouts. C’est ce qui arrive du côté féminin en 1937. “La patrouille Notre-Dame est composée d’une vingtaine de cheftaines ou guides mariées, et femmes de chefs; toutes mamans de très petits enfants. Les réunions sont mensuelles […], essai d’application de l’esprit et de la loi scoute dans un programme de vie” (La page des cheftaines, in Le Chef de janv.1937, p.31). L’esprit scout, dans la vie de famille, n’implique pas seulement que chacun vive selon la loi scoute et que les parents en donnent le bon exemple, mais intervient dans la façon même d’éduquer qui, si elle exige une obéissance sans réplique, cherche à responsabiliser l’enfant en lui témoignant une confiance a priori.

De toute façon, les SdF entendent bien coopérer avec les familles dans la formation, et non pas prendre le monopole de l’influence sur l’adolescent. “Notre rôle est déjà assez beau d’être des auxiliaires , serviteurs et troupes de renfort de l’Eglise, de la famille et de la grande maison française, et d’avoir notre rang parmi les différents moyens de produire de meilleurs chrétiens, de meilleurs fils, de meilleurs citoyens” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°49, janv.1928, p.52-53). Car, selon la conception catholique de la société, l’éducation revient naturellement à la famille. C’est pourquoi toute pédagogie, si elle aide la famille dans sa fonction propre, ne peut ni ne doit aucunement la remplacer. “Il faut aussi signaler combien le scoutisme se préoccupe de collaborer très étroitement avec les familles pour l’œuvre d’éducation […] Les dernières journées nationales des SdF à >Strasbourg, en novembre 1933 comportaient dans leur programme l’étude approfondie de la collaboration du scoutisme avec la famille” (Mgr. Dubourg, in Le Chef n°115, jt.1934, p.379). Un congrès entier de chefs porte donc sur le sujet. La formation scoute ne peut pas se faire sans le soutien des parents. “Nous ne devons pas admettre qu’un enfant trompe ses parents pour appartenir à notre mouvement, pour assister à nos réunions, pour nous rendre plus de services” (Mgr. Lavarenne, La prière des chefs, coll° “La vie intérieure pour notre temps”, Bloud et Gay, 1937, p.57). Saper l’autorité parentale contredit en effet la loi scoute, et l’adolescent serait perdu si on lui conseillait de nier un article de la loi pour mieux appliquer les autres. De plus, un motif religieux s’ajoute à ce simple bon sens pédagogique, car les parents, quels qu’ils soient, sont attribués par la Providence divine : il faut donc leur obéir à eux avant toute autre personne.

Ainsi les SdF prônent-ils toujours la primauté de l’autorité familiale sur la leur, puisque la famille constitue une communauté naturelle et chrétienne, tandis que la Fédération est un groupement artificiel, même si elle tend à l’éducation chrétienne. Outre qu’il faut obéir à la famille au-dessus de quiconque, on lui consacre son temps et son dévouement toujours en priorité. “Notre métier de chef dans le Mouvement est absorbant et il est passionnant […] Prenons garde qu’il ne nous amène à sacrifier notre vie de famille” (Commissaire Rodet, in Le Chef de févr.1937, p.132). Et le devoir d’état, selon l’enseignement de l’Eglise, constitue la première obligation et permet de se sanctifier à travers de menues actions, car il implique une soumission permanente à la Providence. “Avant d’être à la troupe, tu appartiens à tes parents […] Si le scoutisme ne développe pas en toi l’esprit de famille, c’est que tu ne comprends pas bien ni l’un ni l’autre […]  C’est une erreur de te dépenser pour ta patrouille si tu refuses de faire les commissions pour ta mère ou d’aider ton père dans son travail” (Père Sevin, s.j., Pour devenir SdF, Spes, Paris, 1931, p.27).

Et la volonté de faire passer la famille en priorité dans la vie du garçon s’inscrit dans une optique plus large de restauration du sens familial, étape obligatoire pour reconstituer une France chrétienne, non pas seulement d’individus catholiques mais Fille aînée de l’Eglise dans son organisation sociale et ses institutions. Or la société catholique ne se conçoit comme un ensemble de familles catholiques. C’est pourquoi les SdF essaient de diffuser le sens de la famille. “Les mamans sont les premières bienfaitrices, non seulement de leurs fils, mais encore du mouvement scout, à qui elles les donnent. Aussi, nous nous devons de contribuer pour la plus large part à la restauration de la coutume qu’en d’autres pays les scouts ont déjà tant contribué à remettre à l’honneur : la journée des mères” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°53, mai 1928, p.196). Quelques années plus tard, la requête des SdF est officiellement entendue, et la fête des mères est instituée par l’Etat français . Et si, de nos jours, cette fête a perdu son caractère familial, parce que la maternité ne s’inscrit plus forcément dans le cadre familial, les SdF entendent bien, quant à eux, revigorer l’esprit de famille par son intermédiaire. Et de conclure : “Si le scoutisme catholique pouvait restaurer la famille, il aurait bien tenu sa promesse” (Ce qu’est le scoutisme, par les “troupes du Cardinal”, éditions des SdF, 1925). Or il se montre ici tout-à-fait fidèles à la doctrine sociale de l’Eglise.