” Il s’agit d’opérer dans la vie l’accord des choses terrestres et des choses divines que le jansénisme avait détruit et que le thomisme nous fait redécouvrir “, proposait Pierre Goutet aux Journées nationales des chefs routiers, les 26 et 27 décembre 1931 (cité par le père Héret dans sa préface à Scouts de France et Ordre chrétien).
Complémentaire de la famille aux côtés de l’école, le scoutisme est au service du destin surnaturel, personnel et unique de chacun de ses membres : ” Les associations qui s’en réclament , déclare la Charte des principes naturels et chrétiens du scoutisme (1965), sont animées par des chefs laïcs, auxquels les parents des jeunes ont délégué leur autorité. Les éducateurs se réfèrent aux droits et devoirs des laïcs dans la société; ils rendent aux pouvoir spirituel comme temporel, ce que leur doit tout baptisé et citoyen” (article 3).
” Si beau que soit notre scoutisme, commente pour sa part le père Héret, et si attrayant, il n’est cependant pas une fin en soi. Il n’est pas toute la vie d’un scout; ou plutôt nos scouts catholiques diminueraient sa richesse s’ils ne s’épanouissaient dans une vie plus haute, qui est “proprement la vie humaine, à savoir adhérer à Dieu” ?”
” J’ai bien souvent pensé que, pour cette raison, les Scouts de France, qui sont les seuls chez nous à avoir des aumôniers, sont aussi les seuls à posséder un scoutisme intégral.” (“La formation religieuse des scouts, par les moyens propres au scoutisme” dans Le chef, juillet-août 1926, n° 36).
On retrouve ici le thème de la double souveraineté du monde chrétien (autonomie du pouvoir séculier pouvant néanmoins être subordonné dans le domaine spirituel) qui s’oppose à la souveraineté totalitaire du monde moderne (“né, selon l’expression de Malraux, de la volonté de trouver une totalité sans religion“) .
” Il y a un aumônier sur chaque navire mais on ne lui demande pas de fixer la ration de vivres de l’équipage, ni de faire le point ” , comme dit Jean Anouilh (dans Becket ou l’honneur de Dieu) . Semblablement dans les troupes et à chaque échelon de l’ordre scout… Si ce sont les prêtres qui prêchent la croisade (scoute), ce sont les chefs qui la mènent. Voici la description du père de Grangeneuve :
Si le chef laïc commande la troupe et décharge par là le prêtre de bien des soucis matériels, cependant la troupe ne vit et progresse que par l’action combinée et continue de l’aumônier et du scoutmestre, et les fonctions d’aumônier scout sont plus absorbantes qu’on ne croit. Ce qui fait la valeur éducative du scoutisme, c’est qu’il offre les moyens d’une action religieuse presque constante, non pas imposée, mais désirée et sollicitée par les scouts, parce qu’elle fait partie intégrante de cette vie scoute qui les passionne.
Préparation à la promesse, veillées de prières, épreuves religieuses, préparation des badges de religion, cérémonies de promesse, nominations des chefs, réunions de patrouilles, de troupe ou de cour d’honneur, et par dessus-tout le camp, avec ses messes qui en font “une église à ciel ouvert”, avec ses veillées le soir autour du feu, si prenantes pour l’âme des garçons, […] autant d’occasions offertes à l’aumônier pour cette action individuelle ou par petits groupes, qui est la plus efficace pour la formation des cœurs et des consciences.
Le chanoine Cornette quant à lui n’hésitait pas à parler de la ” sainte alliance ” entre le clerc et le laïc dans ce tandem indissociable (chef-aumônier) qu’on trouve à la direction des unités SDF. Il y a bien pourtant distinction des deux pouvoirs, mais pour les unir analogiquement comme les deux natures du Christ. Ce cadre si caractéristique des Scouts de France à l’origine reflète bien leur volonté de rétablir un ordre temporel chrétien (sub)ordonné à l’ordre spirituel, bref de rebâtir une chrétienté.
” Remettre les chrétiens en chrétienté ” , selon la formule du Père Sevin ou ” renouer avec le pacte conclu par Clovis ” , selon le vœu du chanoine Cornette. […]
En réinstaurant l’ordre chrétien à leur niveau et à leur manière comme une ” micro-chrétienté ” (commencer par soi !), les scouts catholiques se font en somme des pionniers de la nouvelle évangélisation demandée par Jean-Paul II. Car, pour lutter contre les multiples structures de péché dénoncées par le même pape, la nouvelle évangélisation doit passer par de nouvelles structures de bien , comme celle du scoutisme précisément parmi bien d’autres, capables de refaire progressivement, par capillarité et par réseaux, un ordre social chrétien, c’est-à-dire une nouvelle chrétienté.
Le chanoine Cornette ne voulait pas autre chose quand il parlait de ” faire surgir une race de beaux chrétiens, fiers de leur foi et lui soumettant toute leur vie, avec laquelle nous rebâtirons la Cité de Dieu dans notre cher pays de France, que tant d’entreprises maudites s’efforcent de déchristianiser ” : ” Notre but , ajoutait-il, qu’inlassablement nous voulons poursuivre, c’est de faire de nos garçons des rebâtisseurs de la Cité de Dieu. C’est pour cela que nous avons fondé le scoutisme catholique, c’est pour former cet ouvrier magnifique des reconstructions spirituelles, que, sans discontinuité d’efforts, nous forgeons l’âme de nos enfants, de nos garçons et de nos adolescents, durant au moins quinze ans consécutifs, aux trois étapes du Louvetisme, du Scoutisme et de la Route” (Bulletin de liaison des aumôniers , n° 50, p. 321, n° 66, p. 103).