C’est dans l’ordre de genèse la première voie de la spiritualité scoute, engendrée par la méthode d’éducation elle-même baptisée en “pastorale de la jeunesse” : apprendre aux enfants à devenir des hommes en apprenant aux hommes à redevenir enfants . “Le plus jeune prend exemple sur le plus grand, et le plus grand est provoqué à l’excellence par le regard du petit” , résume Philippe Verdin, o.p., dans son livre sur la spiritualité du scoutisme [1] Les pieds sur la terre et la tête dans le ciel , p. 18, aux éditions du Cerf.
Le scoutisme, par le fait même, n’est pas seulement une méthode d’éducation mais une spiritualité adulte qui vaut directement pour l’enfant, “une école de perfection à son image et à sa taille” (Père Forestier) . Car la voie d’enfance (enseignée dans l’Évangile) est essentiellement la sienne : ” Laissez venir à moi les petits enfants, ne les empêchez pas car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. ”
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La pureté du cœur et du corps (10ème article de la loi scoute) est l’indispensable terrain de cette voie qui implique une certaine transparence, la simplicité, l’absence de respect humain, la franchise, la loyauté, la confiance en l’autorité, bref l’abandon d’enfant entre les bras de L’Amour miséricordieux, le tout vécu dans cette atmosphère de jeunesse, de joie, de liberté disciplinée qui n’empêche pas, au contraire, le renoncement héroïque dans les actions ordinaires, selon la petite voie enseignée par sainte Thérèse. Car l’enfant comme l’adulte, encore une fois, sont faits pour la sainteté. Par la voie d’enfance, il ne leur est pas demandé de renoncer à l’héroïsme des vertus (selon leur âge), il leur est seulement demandé ” d’obéir au souffle de la grâce, sans contention, sans crainte, comme il (l’enfant) abandonne sa main à la main de sa mère sans se préoccuper du chemin ” (Luce Quenette) . De façon à ce que le joug de la croix, qui est la loi de la vie, leur soit doux et léger.
Le scoutisme mettra évidemment en œuvre des moyens et des rites spécifiques pour marcher sur cette voie d’enfance. Qu’on songe par exemple au rite de la bonne action quotidienne (le ” bon tour ” chez B. P.) qui enseigne presque sous forme de jeu l’ouverture des cœurs. Cette fidélité aux petites choses pour s’entraîner aux grandes est prise au sérieux à travers des us et coutumes propres, comme on peut en trouver par exemple dans la famille bénédictine (écoute du novice, coulpe, etc…) . La B. A., disait le Père Sevin, ” demeure la signature du scoutisme sur nos âmes ” . La joie, premier devoir de tout chrétien, et plus connaturelle encore à l’enfant de Dieu, sera extériorisée par le sourire ” scout ” — du ” relèves-les coins ” de B. P. (article 7) à la ” spiritualité du sourire ” de Guy de Larigaudie —, par le jeu, le chant scouts… ” Cette joie profonde de toutes les minutes, nous voulons la rayonner et nous chantons avec enthousiasme pour donner à nos frères le goût de la partager, pour l’honneur de notre Dieu, “le Dieu de ceux qui chantent”, nous voulons être des Alleluias vivants. ” , affirmait encore le Père Sevin (dans ses Positions sacerdortales ) . Il s’agit en vérité d’aimer Dieu si simplement, si purement comme un enfant, que cet amour ” vous remonte au bord des lèvres à longueur de journées ” , comme disait Guy de Larigaudie, qui voulait ” faire de sa vie une conversation avec Dieu ” , une oraison perpétuelle : ” En fauchant à coups de cravache la tête des carottes sauvages, en mâchonnant un brin d’herbe, en se rasant le matin, on peut répéter à Dieu sans se lasser, tout simplement, qu’on l’aime bien et cela vaut bien autant que les torrents de larmes jamais versées des livres de piété. ”
À propos du jeu si propre à l’enfant et dont le scoutisme a fait un levier essentiel de sa méthode jusque dans sa spiritualité […] Spiritualité de l’enfance et de son devoir d’état, c’est-à-dire spiritualité du jeu : réponse dans la même veine que celle de saint Louis Gonzague à qui l’on demandait ce qu’il ferait si on lui disait que c’est la fin du monde dans un quart d’heure : “Je continuerais à jouer. !”
L’une des originalités du scoutisme est précisément de faire de la vie un jeu, un jeu joyeux et sérieux comme le sont normalement tous les grands jeux pour les enfants, un beau jeu comme dit Larigaudie, un franc-jeu où la règle du jeu est règle de vie : “Un routier-scout qui ne sait pas mourir n’est bon à rien.” Ce qui donne un sens à ce jeu, à la vie, donne aussi un sens à la mort. Un jeu sublime et sacré que nous tenons directement de Dieu et où l’on se garde de tricher…
Le scout adulte le plus connu qui a véritablement incarné cette voie d’enfance, en tant que scout et à sa manière scoute, est sans soute Guy de Larigaudie : “J’avais rêvé de devenir un saint et d’être un modèle pour les louveteaux, les scouts et les routiers…” Dans son mémoire déjà cité, Christophe Falala aborde longuement cette “figure de proue” de la spiritualité scoute :
“Quand on l’analyse dans son fondement, on voit que la mystique qu’incarne le” routier de légende “n’est autre que celle de l’humble carmélite Thérèse de Lisieux. Tout d’abord dans sa” petite voie” : “Notre vie n’est qu’une succession de gestes infimes mais qui, divinisés, modèlent notre éternité” . Donc : “Il est aussi beau de peler des pommes de terre pour l’amour du Bon Dieu que de bâtir des cathédrales.” Surtout, plus radicalement, cette spiritualité scoute ressemble à la spiritualité de la “petite Thérèse” parce qu’elle s’est spécialement affinée à l’essentiel de toute spiritualité chrétienne authentique : l’amour de Dieu par-dessus tout. […] “Je venais de comprendre qu’il n’est vraiment qu’une chose au monde qui compte : l’amour du Bon Dieu, un amour immense, irraisonné, un amour de gosse en adoration devant sa mère, un amour total qui nous prenne tout entier, dans chaque instant de notre vie. Cet amour enfantin, ce merveilleux amour effacera plus tard toutes nos laideurs et demeurera seul, triomphant” […] Cette mystique scoute très affinée est très exigeante aussi, à l’instar de celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : “Il faudrait si peu de choses pour que des vies honnêtes deviennent des vies saintes. Simplement un plus grand amour de Dieu, une plus grande soumission à sa volonté, la pensée du sacrifice et de la perfection dans les moindres actions quotidiennes. C’est tout.” ”
Il y a dans le rire de Larigaudie, sa façon de mordre la vie à belles dents “comme un enfant réjoui par un fruit merveilleux” (Père Forestier), d’essayer de tout, selon le conseil de l’Apôtre, en criant “tout est nôtre” comme la Pucelle d’Orléans, il y a comme une manifestation éloquente de la sainte liberté des enfants de Dieu. Mais il y a aussi dans cette joie et ce rire, dans cette saine spontanéité, comme une (pertinente) impertinence, celle précisément que redoutent les gens du monde, les gens installés, celle que redoutaient aussi les disciples lorsqu’ils faisaient des reproches à ceux qui amenaient les enfants auprès de Jésus, au point que le Maître se fâcha…
Par sa simplicité et sa pureté, la voie d’enfance se rit des conventions et des fausses puissances, frisant parfois la “vertu d’insolence” . Au sens où Brasillach en parlait pour le procès de Jeanne d’Arc, un autre modèle de cette voie d’enfance, particulièrement honoré chez les scouts :
” Jeanne nous propose avec ce sourire, la magnifique vertu d’insolence. Une jeune insolence, une insolence de jeune sainte. Il n’est pas de vertu dont nous ayons plus besoin aujourd’hui. Elle est un bien précieux qu’il ne faut pas laisser perdre : le faux respect des fausses vénérations est le pire mal. Par un détour en apparence étrange, Jeanne nous apprend que l’insolence, à la base de toute reconstruction est à la base même de la sainteté. À ce mépris des grandeurs illusoires, elle a risqué et perdu seulement sa vie : mais elle pensait qu’il est bon de risquer sa vie dans l’insolence lorsqu’on n’aime que les vraies grandeurs. ”
La voie d’enfance en effet n’est pas une voie puérile , mièvre ou désuète, de spiritualité. Elle est paradoxalement très virile et passionnée à l’image de Notre-Seigneur. La devise de Jeanne d’Arc, ” Messire Dieu premier servi ” , ne supporte pas de compromissions, de biaiseries. Elle ne se vit pas à moitié (article 7), surtout dans l’adversité (article 8). C’est la raison pour laquelle, comme le démontrent aussi bien sainte Jeanne d’Arc que sainte Thérèse de Lisieux (mais aussi la spiritualité scoute), la voie d’enfance se conjugue le plus souvent intimement avec la voie missionnaire…
References
↑1 | Les pieds sur la terre et la tête dans le ciel , p. 18, aux éditions du Cerf |
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