[:fr]Voies d’accès[:en]Ways of accessing Scout spirituality[:]

[:fr]

d’après le Guide Totus du scoutisme (Sarment, 2007) par Louis et Rémi Fontaine,

Article publié dans la revue Europa scouts n°151 de décembre 2023.

La manière qu’ont les scouts de se considérer comme des frères, dans la patrouille, au camp, à l’école, dans la société et dans le monde entier, n’est pas fictive : elle est l’âme de la spiritualité scoute avec la voie de l’enfance.

Le thème de la fraternité est déjà très fréquent chez B.P. puisqu’il définit notamment le scoutisme comme

un jeu dans lequel des frères ou des sœurs aînés ont l’occasion de procurer à leurs cadets un milieu sain, et de les encourager à une activité saine qui puisse les aider à développer leur civisme.

Cela vaut aussi bien pour le chef de patrouille que pour le chef de troupe que B.P. définit comme un « homme-enfant ». Il doit avoir en lui-même « l’âme d’un garçon », être capable de se mettre d’emblée au même plan que ses garçons et « aimer ce qu’ils aiment », comme disait Don Bosco. Apprendre ainsi à redevenir enfant pour apprendre aux enfants à devenir des hommes. Comme peut le faire un grand frère et comme nous l’a enseigné éminemment notre « Frère et Chef Jésus Christ » : « Si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous ne rentrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Mt 18, 3).

Aimer, oser aimer, aimer tout le monde de la dilection de Jésus-Christ même, à Lui de nous l’apprendre. En toutes nos relations donc, au dehors comme entre nous, doit régner, d’abord et à tout prix, la plus fraternelle des charités. Avec cette simplicité que nous a donnée la grande fraternité de plein air, courtoise et liante, égale et bienveillante, toute pleine de la paix et de l’humilité du Sacré-Cœur. Comme Jésus, nous devons être les serviteurs de tous, comme saint Paul, « les derniers des saints », comme Charles de Jésus (de Foucauld) « les frères universels » (Père Sevin, Positions sacerdotales).

Point de fossé donc entre le chef et le scout, même si une hiérarchie certaine demeure, mais une relation de confiance fraternelle, une amitié fraternelle qui se reconnaît notamment dans le tutoiement réciproque quelque soit l’âge des interlocuteurs et leur rang dans le scoutisme. Cette fraternité se vit donc à la fois horizontalement et verticalement, toujours dans cette optique fondamentale que vient rappeler le salut scout (le pouce replié sur l’auriculaire) : « le plus fort protège le plus faible. »

Il faut à nouveau citer l’Évangile :

Ne vous faites pas appeler rabbi, car vous n’avez qu’un maître et vous êtes tous frères (Mt 23, 8).

Ce divin Maître est Celui qui a lavé les pieds de ses apôtres et les appelle ses amis, le Fils de l’Homme qui, pour sauver les hommes, c’est-à-dire pour les éduquer, « ne rougit pas de les appeler ses frères » (Hb 2, 11), le Grand Frère et le Chef par excellence !

Le chef de troupe et le chef de patrouille (jusqu’au « der de pat ») se doivent d’imiter : « Le scout est fait pour servir et sauver son prochain. » Nous sommes bien au cœur de la spiritualité scoute, la fraternité universelle, déjà présente dans le message si chrétien de Baden-Powell, mais explicité dans sa plénitude par le père Sevin.

Dans les deux volumes qu’elle a édités, S’il plaît à Dieu toujours ! et Seigneur et Chef !, la Sainte-Croix de Riaumont, résume bien la pensée de son père spirituel, Jacques Sevin :

Sa spiritualité ne dénature pas le scoutisme, elle ne le déséquilibre pas, car elle porte précisément sur son centre de gravité. La catholicisation du scoutisme n’est que l’explicitation de ses ressorts essentiels.

Alors oui, si toute spiritualité est une manière concrète de pratiquer la loi de l’Évangile, le scoutisme est bien aussi une spiritualité qui s’incarne à travers des usages et des mœurs comme dans les autres familles spirituelles. Si la fraternité en est le principe, on peut distinguer aussi trois voies d’accès à cette spiritualité propre, trois voies complémentaires et commutatives inspirées par les trois vertus théologales (foi, espérance et charité) :

  • La voie d’enfance (ou d’abandon) déjà évoquée, dont sainte Thérèse de Lisieux nous offre le modèle, avec ses vertus préférées : obéissance, joie, franchise, simplicité, pureté… L’une des originalités du scoutisme est précisément de faire de la vie un jeu, un jeu joyeux et sérieux comme le sont normalement tous les grands jeux pour les enfants. Un beau jeu, comme dit Larigaudie, qui est l’adulte le plus connu à avoir emprunté cette voie en tant que scout, « frère universel » à sa manière scoute.
  • La voie de pauvreté (ou de dépouillement), inspirée surtout de saint François d’Assise, mais aussi de saint Jean-Baptiste et de saint Benoît, avec les vertus corollaires de maîtrise de soi, détachement, ascèse, persévérance, disponibilité, paix… Elle est fondée, même si cela reste de façon intermittente, sur la pratique du camp ou de la route. L’appel de la montagne, de la forêt, du désert (raid, woodcraft, goum…) doit rejaillir sur notre manière de vivre en société. Cette voie évangélique a été particulièrement illustré et développé par le père Doncœur pour les routiers :

Et ta joie a été profonde quand tu as découvert que l’Évangile n’était pas un livre d’école, mais un livre de plein air.

  • La voie missionnaire (ou chevaleresque), inspirée de saint Ignace de Loyola et des ordres religieux de chevalerie, avec comme vertus principales : la solidarité, le dévouement, le courage, la force, l’esprit de sacrifice… Cette voie d’apostolat, résumée par la promesse et l’article 3 de la loi, se prépare grâce aux deux voies précédentes, à l’exemple de la vie publique du Christ. Comme les autres, elle se vit dans le cadre d’une fraternité, en l’occurrence chevaleresque : « La chevalerie, c’est le sacrifice à l’état d’institution ; elle réclame une grande cause », devait écrire Dom Chautard quelques heures avant sa mort, pour la prise d’habit d’un routier dans son abbaye.

Même si l’apôtre scout peut emprunter plus facilement une voie, préférer telle voie à telle autre, il les assume toutes inévitablement à la manière scoute : fraternellement ! Qu’on songe par exemple au père Sevin, au père Doncœur ou à Guy de Larigaudie : ils n’échappent à aucune de ces trois voies.

La spiritualité apportée par le scoutisme, c’est donc cette fraternité évangélique pratiquée à tout âge, quelque soit sa fonction, par la conjonction homogène de ces trois voies. Fraternité et voies que le scoutisme colore du mode de vie, des coutumes et surtout des moyens que lui donne sa pédagogie, sa méthode d’éducation : loi, principes, promesse, en sus de tout le « folklore » scout au sens noble du terme, ensemble contingent des traditions et des usages d’un peuple – « le peuple scout » – fleurissant légitimement sur la tige d’une méthode et d’une morale adaptées à l’âme des adolescents.

La méthode naturelle enrichie par la grâce appelle, par inculturation de la foi dans le peuple scout, une spiritualité propre, qui emprunte certes à des traditions antérieures et extérieures mais trouve aussi indéniablement sa propre identité. École du réel et de la vie, civisme à l’école des bois, le scoutisme est aussi pour ceux qui ne veulent pas le pratiquer à moitié, une école de spiritualité authentique : « Vous êtes tous frères » (Mt 23, 8).[:en]

based on the Guide Totus du scoutisme (Sarment, 2007) by Louis and Rémi Fontaine,

Article published in the magazine Europa scouts n°151, December 2023.

The way in which Scouts see each other as brothers, in the patrol, at camp, at school, in society and in the world at large, is not fictitious: it is the soul of Scout spirituality and the way of childhood.
The theme of fraternity is already very common in B.P.’s writings, as he defines Scouting as

a game in which older brothers or sisters have the opportunity to provide their cadets with a healthy environment, and to encourage them in a healthy activity that can help them develop their civic-mindedness.

This applies equally to the patrol leader and the troop leader, whom B.P. defines as a “man-child“. He must have “the soul of a boy”, be able to put himself on the same level as his boys and “love what they love“, as Don Bosco used to say. Learning to become a child again in order to teach children to become men. As a big brother can do, and as our “Brother and Leader Jesus Christ” taught us so well: “Unless you become like little children, you will not enter the Kingdom of Heaven” (Mt 18:3).

To love, to dare to love, to love everyone with the love of Jesus Christ Himself, it’s up to Him to teach us. In all our relationships, therefore, both outside and among ourselves, the most fraternal of charities must reign, first and foremost and at all costs. With the simplicity given to us by the great fraternity of the open air, courteous and binding, equal and benevolent, full of the peace and humility of the Sacred Heart. Like Jesus, we must be servants of all, like Saint Paul, “the last of the saints”, like Charles de Jesus (de Foucauld) “universal brothers” (“Father Sevin, Priestly Positions“).

So there is no gulf between the leader and the Scout, even if there is still a certain hierarchy, but a relationship of fraternal trust, a fraternal friendship that can be seen in the fact that people are on first-name terms with each other, whatever their age or rank in Scouting. This fraternity is lived out both horizontally and vertically, always from the fundamental perspective of the Scout salute (the thumb folded over the little finger): “the strongest protects the weakest”.

Once again, we must quote the Gospel:

Do not call yourselves rabbis, for you have only one master and you are all brothers (Mt 23:8).

This divine Master is the One who washed the feet of his apostles and calls them his friends, the Son of Man who, in order to save men, that is, to educate them, “is not ashamed to call them his brothers” (Heb 2:11), the Big Brother and the Leader par excellence!

The troop leader and patrol leader (right up to the “der de pat”) must imitate: “The Scout is made to serve and save his neighbour“. We are at the very heart of Scout spirituality, the universal brotherhood, already present in the very Christian message of Baden-Powell, but explained in its fullness by Father Sevin.

In the two volumes it has published, S’il plaît à Dieu toujours! and Seigneur et Chef! the Sainte-Croix de Riaumont sums up the thinking of its spiritual father, Jacques Sevin:

His spirituality does not distort scouting, it does not unbalance it, because it focuses precisely on its centre of gravity. The catholicisation of scouting is simply the clarification of its essential springs.

So yes, if every spirituality is a concrete way of practising the law of the Gospel, Scouting is also a spirituality that is embodied in customs and mores, as in other spiritual families. While brotherhood is the principle, there are also three ways of accessing this spirituality, three complementary and commutative paths inspired by the three theological virtues (faith, hope and charity):

The way of childhood (or abandonment) already mentioned, of which Saint Thérèse of Lisieux offers us the model, with her favourite virtues: obedience, joy, frankness, simplicity, purity… One of the original features of Scouting is precisely to make life a game, a joyful and serious game as are normally all the great games for children. A beautiful game, as Larigaudie says, who is the best known adult to have taken this path as a scout, a “universal brother” in his own scouting way.

The path of poverty (or stripping down), inspired above all by Saint Francis of Assisi, but also by Saint John the Baptist and Saint Benedict, with the corollary virtues of self-control, detachment, asceticism, perseverance, availability, peace… It is based, even if intermittently, on the practice of the camp or the road. The call of the mountain, the forest, the desert (raid, woodcraft, goum…) should reflect on our way of living in society. This evangelical way was particularly illustrated and developed by Father Doncœur for truck drivers:
And your joy was profound when you discovered that the Gospel was not a school book, but an outdoor book.

The missionary (or chivalric) way, inspired by Saint Ignatius of Loyola and the religious orders of chivalry, with the main virtues of solidarity, dedication, courage, strength, the spirit of sacrifice, etc. This apostolic way, summarised by the promise and article 3 of the law, is prepared through the two previous ways, following the example of Christ’s public life. Like the others, it is lived within the framework of a fraternity, in this case chivalry: “Chivalry is sacrifice as an institution; it demands a great cause“, Dom Chautard was to write a few hours before his death, for the taking of the habit of a truck driver in his abbey.

Even though the Scout apostle may take one way more easily, preferring one way to another, he inevitably takes them all on in the Scout way: fraternally! Just think of Father Sevin, Father Doncœur or Guy de Larigaudie: none of them escapes any of these three ways.

The spirituality provided by Scouting is therefore this evangelical brotherhood practised at all ages, whatever their function, through the homogeneous conjunction of these three paths. This brotherhood and these ways are coloured by Scouting’s way of life, its customs and, above all, the means provided by its pedagogy, its educational method: law, principles, promise, in addition to all the Scout “folklore” in the noble sense of the term, the contingent set of traditions and customs of a people – “the Scout people” – legitimately flourishing on the stem of a method and a moral adapted to the soul of adolescents.

By inculturating the faith into the Scouting people, the natural method, enriched by grace, gives rise to a spirituality of its own, which certainly borrows from previous and external traditions, but also undeniably finds its own identity. A school of reality and of life, a civic school in the woods, scouting is also, for those who do not want to practise it by halves, a school of authentic spirituality: “You are all brothers” (Mt 23:8).[:]