Les SdF dans les rassemblements internationaux

Si les scouts du cardinal Bourne, archevêque de Westminster, appartiennent sans réticence à l’association anglaise, où l’anglican BP est Chef scout et la catholique Vera Barclay commissaire nationale du louvetisme , la plupart des catholiques, dans les autres pays, constituent des associations séparées. Mais, en Angleterre, pour désigner les chefs des troupes catholiques, “le Chef scout (BP) signe les brevets sans jamais refuser sa signature aux candidats désignés par l’évêque ou le curé” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme , Spes, Paris, 1922, p.26). On remarque alors que saint Pie X, qui n’hésite pourtant pas à condamner (la Ligue démocratique nationale en Italie, le Sillon en France) ou à excommunier (le moderniste Loisy, l’abbé Murri), n’intervient pas au sujet du scoutisme catholique anglais, et encourage, en 1913, l’association belge . De plus, le cardinal Bourne ne cherche habituellement aucun rapprochement avec les anglicans, et voit d’un très mauvais œil, en 1924, les conférences de Malines qui en discutent, entre l’anglican Lord Alifax et le cardinal Mercier. C’est donc bien qu’il ne voit dans la fraternité scoute aucune tentative d’émousser les différences entre religions.

Ailleurs, cependant, les associations catholiques séparées se posent parfois la question de leur participation aux réunions internationales et interconfessionnelles . C’est, avec la fonction de l’aumônier dans la troupe, l’une des raisons de la dissidence, en Belgique, des Belgian Catholic scouts . Leur chef écrit : “Nous sommes la seule association catholique qui n’est pas affiliée à l’internationale de BP, et nous n’avons participé à aucun jamboree ou congrès international” (Lettre de M. Weverbergh du 10 mai 1924 à la Revue internationale des sociétés secrètes , publiée dans la revue p.405). Mais cette scission ne réunit que peu de troupes, et ne dure que de 1920 à 1927, alors que la grande majorité des catholiques belges reste chez les BP Belgian Boy – scouts . Le problème semble avoir aussi soulevé des polémiques au Danemark, toutefois dans de moindres proportions : il ne s’agit là que d’une personne. À en croire la Croix de Provence : “On nous annonce la démission de M. le colonel Lembecke, précédemment chef d’une organisation scoute danoise. […] . Les scouts catholiques pourront donc participer, sans aucune arrière-pensée, au jamboree international du scoutisme, qui aura lieu au Danemark, au mois d’août 1924” (La Croix du 6 janv.1924). Ailleurs, apparemment, aucun débat à l’intérieur même du milieu scout.

Cependant, les détracteurs du scoutisme ne manquent pas d’utiliser cet argument à deux niveaux : celui du patriotisme comme celui de la religion . Bien entendu, La Sapinière attaque. “Le scoutisme est une Internationale . […] . Voici la pince anglo-saxonne, renforcée par l’Y. M. C. A., de cette tenaille qui menace en nous le génie, la pensée et la langue des pays latins” (Pierre Colmet, in Revue internationale des sociétés secrètes, 1924, p.345). Toujours cette inquiétude, d’autant plus que les pays anglo-saxons sont tous à dominante protestante, et que cette mentalité peut entraîner une déviance religieuse. Mais BP semble plutôt encourager le patriotisme de chaque pays : l’organisation même du Bureau international le prouve. “Il y a des scouts dans presque tous les pays du monde, mais les sociétés de scouts des diverses nations n’ont aucun lien de dépendance ni entre elles ni avec l’association anglaise” (Père Sevin, s.j. , Pour devenir SdF , Spes, Paris, 1931, p.16).

Mais les réticences à ce sujet demeurent longtemps, chez des catholiques extérieurs, qui n’ont jamais rien vu de ces réunions internationales . Encore en 1934, un aumônier SdF remarque : “Nous avions entendu, de-ci, de-là, des personnes qui ne connaissent pas bien les scouts, exprimer la crainte que ce grand rassemblement mondial (Gödöllö) provoque chez nos jeunes Français je ne sais quel pacifisme international et trompeur, […] néfaste à leur patriotisme. Quelle erreur! Au jamboree, chacun garde sa nationalité.” (6). Dès la fondation des SdF, les responsables s’attachent à bien franciser le scoutisme, au même titre qu’ils le catholicisent. BP ne considère d’ailleurs pas autrement l’expansion à l’étranger de sa pédagogie à base patriotique. Le message de janvier 1935 du major Martin, directeur du Bureau international, paraît clair : ” Le scoutisme n’est pas international, il est inter-national. C’est-à-dire qu’il est, dans chaque pays, un mouvement national enseignant un vrai patriotisme national et inspirant ainsi un juste sentiment d’amour pour sa propre patrie […] C’est seulement en suivant cette voie que nous pensons que l’entente et la paix peuvent être atteintes” (G. B., aum., in BdL n°43, déc.1933).

 

Et le père Doncœur explique le procédé d’adoption de la pédagogie d’origine anglaise par des Français particulièrement patriotes : “BP a nettement conçu le scoutisme comme un moyen de renouveler son pays […] La première règle que le fondateur du scoutisme nous enseigne n’est donc pas de transporter servilement son type anglais par delà le Canal ; mais […] de refaire tout le travail qu’il a accompli, puisque c’est notre pays qu’il faut renouveler, ses défauts qu’il faut connaître, ses vertus exploiter, son imagination séduire” (Major Martin, in Jamboree, janv.1935). Le SdF “n’a rien reçu (des Anglais) ni n’en reçoit rien qu’à la condition de le repenser à la catholique et à la française” (Père Doncoeur, s.j., La reconstruction spirituelle du pays, les SdF, in Etudes n°5 du tome 186e, mars 1926, p.533-534, publié à La Hutte, Paris, 1926). Cependant, la Revue internationale des sociétés secrètes déplore “la proclamation d’une fraternité supérieure aux frontières et même aux obligations communes du sacerdoce” (Pierre Colmet, op.cit., p. 237).

Car le plus grave problème reste celui des religions qui se côtoient dans ces rassemblements . Le même article continue, à propos du congrès international du scoutisme, à Paris, en 1922 : “Les orateurs des différentes séances d’études […] , voire pour les <> du matin sur les devoirs des chefs scouts, sont, tour à tour, protestants et catholiques, un jésuite belge, un pasteur suisse, etc. Fallacieuse paritat, selon le mot allemand, puisque enfin la Réforme peut l’accepter sans renier son principe du libre examen, tandis que le catholique ne saurait s’y plier sans déchoir et sans trahir . L’Eglise, en tout cas, ne saurait longtemps supporter en silence cette diminution de la vérité” (Pierre Colmet, op.cit., p.346). Or, justement, l’Eglise n’intervient pas, car ces rassemblements permettent une formation plus approfondie au niveau pédagogique, que chacun peut ensuite adapter à sa religion. Et le Pape ne considère que les bienfaits de l’éducation scoute chez les catholiques. L’Eglise donne même son accord, en 1923, pour une coopération entre les diverses associations françaises : SdF, neutres et protestants. “Avec l’autorisation des autorités ecclésiastiques de Paris, et dans un but d’union patriotique, il vient d’être créé dans cette ville un bureau international du scoutisme français” (in Le SdF n°4, avr.1923, et in Le Chef n°14, avr.-mai 1923, p.186). Le président de ce bureau provient alternativement de l’une des trois associations, qui demeurent totalement indépendantes, puisque les suggestions du bureau restent soumises à l’accord de chacune des associations quant à leur application.

Le problème de la participation aux rassemblements internationaux ne se pose d’ailleurs jamais en France, au sein du milieu scout. Avant même la fondation des SdF, les différentes troupes isolées participent à quelques sorties avec des scouts d’autres associations. Les Entraîneurs de Saint-Honoré d’Eylau entrent en relation avec d’autres mouvements de scoutisme l’hiver 1918-1919. On se souvient du chanoine Cornette et de quelques entraîneurs, qui, le 21 octobre 1918, rencontrent BP pour la première fois lors d’une réunion organisée en son honneur par les EdF. De nouveau, le 1er décembre, les entraîneurs font une sortie commune avec les EdF et les EU, à Château-Thierry. Mais ils ne vont pas à la messe discrètement, avant la réunion : le chanoine Cornette la dit sur place, devant tout le monde, et c’est ce jour-là qu’il réalise combien nombreux sont les catholiques dans les autres associations. De son côté, l’abbé d’Andréis envoie ses éclaireurs à un rassemblement de toutes obédiences, en 1920, à l’occasion d’une fête fédérale de gymnastique, que le président Paul Deschanel honore de sa visite. D’autre part, Lucien Goualle fait de la réclame pour le jamboree d’Olympia, dans le journal des Vaillants compagnons de saint Michel, avec l’accord de l’abbé de Grangeneuve.

 

Enfin, on l’a vu, le Comité organisateur des SdF, où siègent cinq prêtres, envoie une délégation à ce jamboree à peine la Fédération constituée, et, sur place, le père Sevin demande l’affiliation des scouts catholiques français au Bureau international, créé juste à ce moment- là . C’est d’ailleurs au même jamboree que les diverses associations de scoutisme catholique décident de se regrouper, de leur côté, mais avec l’accord du Bureau, dans un Office commun, l’OISC . Par la suite, les SdF participent sans réticence à tous les rassemblements internationaux.

Les critiques à ce sujet ne viennent cependant pas seulement des intégristes . Un article de juin 1934 in Prêtre et apôtre , publie une lettre anonyme, soi- disant d’un ancien aumônier scout. “Il semble bien que dans des réunions interfédérales […] on fasse du scoutisme d’abord et du catholicisme ensuite .” Et la même revue donne la réponse d’un aumônier (assurément véridique !) : “BP a lancé au monde entier un même message : les catholiques l’ont adopté, mais est-ce une raison pour, après avoir pris ce qu’il y avait de bon dans le système scout, se retirer dans une tour d’ivoire et se mettre en dehors de la grande fraternité scoute qui ne connaît pas de frontière… À supposer que l’on côtoie dans ces réunions un frère mauvais, quoique mauvais, ce scout est cependant un frère, non pas seulement dans le scoutisme, mais en Notre Seigneur d’abord“. Cette réponse montre que les SdF entendent la fraternité dans le sens catholique. Déjà, l’Eglise, bien qu’elle favorise le patriotisme, est universelle (son nom même l’indique) . Ensuite, elle encourage à reconnaître en tout homme une créature de Dieu, et à détester le péché tout en aimant le pécheur. De même, un catholique doit voir en toute personne l’âme que Dieu a créée par amour. Or cet aumônier scout montre que la fraternité qui lie un scout catholique à tout autre scout est d’abord motivée par des raisons religieuses.