Une morale du bonheur et de l’honneur

“Je crois que Dieu vous a placés dans ce monde pour y être heureux et jouir de la vie” , disait Baden-Powell à ses scouts. Loin de tout puritanisme, la morale du bonheur qui sous-tend l’ “esprit scout” n’est pas pour autant épicurienne. Il suffit de relire le dernier message du Chef scout  :

Ce n’est ni la richesse, ni le succès, ni l’indulgence envers soi-même qui créent le bonheur. Vous y arriverez tout d’abord en faisant de vous dès l’enfance des êtres forts et sains qui pourront plus tard se rendre utiles et jouir ainsi de la vie lorsqu’ils seront des hommes. L’étude de la nature vous apprendra que Dieu a créé de belles choses et merveilleuses afin que vous en jouissiez. Contentez-vous de ce que vous avez et faites-en le meilleur usage possible. Regardez le beau côté des choses plutôt que le côté sombre. Mais la meilleure manière d’atteindre le bonheur est de le répandre autour de vous. Essayez de laisser le monde un peu meilleur qu’il ne l’était quand vous y êtes venus, et, quand l’heure de la mort approchera, vous pourrez mourir heureux en pensant que vous n’avez pas perdu votre temps et que vous avez “fait de votre mieux” . Soyez prêt à vivre heureux et à mourir heureux. Soyez toujours fidèles à votre promesse de scout, même quand vous serez adultes, et que Dieu vous aide.

Pour insuffisante qu’elle soit pour un catholique, là encore, cette morale d’une noblesse certaine ” peut — c’est le père Forestier qui l’écrit — être assumée par la morale de saint Thomas qui est, elle aussi, une morale du bonheur, mais de celui qu’on appelle béatitude ”  : ” La morale n’est pas pour lui un ensemble de défenses, d’interdictions; mais une définition des actes qui nous font parvenir au sommet de notre destin… C’est au terme de l’épanouissement humain bien compris que s’ouvre le Royaume de Dieu. C’est un humanisme mais où Dieu est premier comme raison et source de l’agir. ”
” Dieu , écrit saint Thomas, a constitué l’homme maître de soi, non pour qu’il fasse tout ce qui lui plaît, mais pour faire librement ce qu’il doit. ” (Somme théologique, IIa, IIae, q. 104, art. 1). C’est pour cela que l’éducation scoute fait appel au sentiment de l’honneur, en insistant tellement sur le sens de la responsabilité personnelle. […] Outre une certaine fierté, l’honneur implique le sentiment d’une solidarité dans le bien. On a pu reprocher à Baden-Powell un trop grand optimisme. Mais cette confiance se fonde précisément sur le réalisme chrétien. Pour saint Thomas, ” le péché originel ne vicie pas substantiellement nos facultés ” et ne peut faire ” complètement taire la voix qui nous fait désirer le bonheur et le bien “, le sens en nous du bien et du mal, remarque toujours le père Forestier dans Scoutisme, route de liberté .
” Faut-il rappeler , interroge t-il, que Baden-Powell, lorsqu’il demande d’être optimiste, le fait par rapport aux cinq pour cent de bon qu’il découvre dans le plus disgracié des hommes? Il reste quatre-vingt-quinze pour cent pour le péché originel, et ses suites. Ce n’est tout de même pas mal. ”
Et de conclure  : ” À quelqu’un qui voudrait aborder le scoutisme, je dirais volontiers qu’il lui suffirait, pour en avoir l’intelligence, d’avoir compris que l’éducation est avant tout un amour, une confiance obstinée, une volonté de rechercher ce qu’il y a de bon et de s’appuyer sur le positif pour faire avancer le développement personnel. ”
Cette vision positive rejoint aussi une conception nettement thomiste de la vie morale . En matière d’éducation, on court le risque de multiples incompréhensions, si on ne saisit pas notamment ce qu’implique le laborieux passage de la puissance à l’acte ( de la promesse du louveteau au départ du routier par exemple) … Il s’agit toujours de faire émerger la finalité (spirituelle) de la personne au delà de son conditionnement (matériel) .