Cherchez le secret de la nature si vous voulez avoir le secret du scoutisme”, affirmait Baden-Powell en définissant le mouvement qu’il avait fondé comme” un civisme à l’école des bois” (“good citizenship through woodcraft“) . Et il disait au Révérend Père Jacobs (aumônier général des scouts belges) que le scout qui revient du camp sans avoir approché Dieu n’avait pas fait un camp scout :” Le scout est un croyant et je répudie toute forme de scoutisme qui n’a pas la religion pour base.
rapporté dans Master’s Gazette, janvier 1921, p. 16, “le scoutisme est-il religieux ?”
Par son retour au réel, ses ” retraites fermées à ciel ouvert “, sa vie et son jeu dans la nature, le scoutisme redonne au jeune ses véritables repères. Il lui apprend sa vraie situation et sa responsabilité à l’égard du milieu et de l’ordre naturels. Il lui enseigne surtout la primauté de la contemplation sur l’action.
” Va dans la forêt” , conseillait déjà saint Bernard, “les arbres et les pierres t’enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des maîtres du savoir. ” (Épître CVI) .
La nature est bien sûr le fondement principal du lien qui unit le scoutisme au docteur commun, de deux points de vue différents mais complémentaires.
1) Il s’agit d’abord de la nature au sens de la création visible (et invisible) .
L’article 6 de la loi scoute (version SDF) :
Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu : il aime les plantes et les animaux […] Car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur
Sagesse13, 5
C’est la ” révélation ” du Livre de la Nature qui va du visible à l’Invisible et précède (dans l’ordre de genèse) la Révélation du Livre des Écritures qui va de l’Invisible au visible. […] Dimension essentielle et école du scoutisme, comme l’a développé excellemment le père Jean Rimaud [1]Maîtrises , journal des chefs et cheftaines de la Fédération du scoutisme européen, décembre 1974., la nature lui apprend son but principal : le sens de Dieu. Elle a une double valeur éducative : ascétique (morale) et contemplative .
Pour être scout, il faut une certaine dose de force et de courage, une disposition constante au calme et à la réflexion. Et pour un scout catholique, il faut encore un profond sentiment de Dieu, de sa divine loi, de sa divine présence qui harmonise les merveilles de la nature, en indique le mystérieux secret et en donne l’enseignement le plus précieux… À un scout catholique, qui a grandi dans la nature, qui sait que dieu est Créateur et Providence, qu’au-delà de ce monde, il y en a un autre invisible, d’une beauté supérieure, dont ce qui se voit n’est qu’un pâle reflet, à ce scout, il ne doit pas être difficile de remonter à Dieu, de porter partout avec lui cette grande pensée qui éclaire toute la vie d’une lumière merveilleuse. De cette façon, le sentiment de la nature prend une toute autre valeur, une toute autre sublimité. Toute la nature s’anime alors d’une double vie, parle un double langage. C’est comme une atmosphère divine qui enveloppe tout, pénètre tout et qui donne aux créatures, petites et grandes, une voie et une mission, cette voie et cette mission prévues par Dieu dans son plan créateur.
Pie XI aux scouts catholiques le 6 septembre 1925
2) Il s’agit plus profondément de la nature au sens de la finalité des êtres , de leur essence, de leur bien : cette nature incontournable chez saint Thomas, donnée essentielle selon laquelle se réalise chaque chose.
“Esse consequitur naturam, non sicut habentem esse, sed sicut qua aliquid est” (IIIa, q. 17, art. 2) : la nature , ce n’est donc pas elle qui existe, mais selon quoi quelque chose existe (par elle) .
Le scoutisme rejoint ici l’enseignement du docteur angélique en ce qu’il s’appuie sur les données de la nature humaine pour proposer sa méthode à chacun. L’objet de l’éducation scoute, c’est d’apprendre au garçon de vivre selon les exigences de la nature humaine, pour l’aider à trouver sa propre vocation personnelle.
Dans sa préface au livre de l’abbé Claude Lenoir (Le scoutisme français, Payot, 1937) le père Forestier atteste ainsi que ” le scoutisme est en admirable conformité avec la nature humaine des garçons ” et qu’il est ” méthode naturelle au sens philosophique du mot ” .
Dans son maître-livre, Scoutisme, route de liberté (Presse d’Île de France, 1952, p. 39-40), il déclare également :
” Ayant tenté de faire saisir ce qui me parait l’inspiration profonde de la méthode d’éducation de Baden-Powell et résumé d’un mot ce qui explique qu’elle se prête si bien aux requêtes d’une éducation catholique, je dirai qu’elle est une méthode naturelle , où la créature de Dieu est reconnue et traitée dans un esprit de désintéressement et de bienveillance, selon les lois mêmes de son être. ”
On saisit bien que cette ” méthode naturelle ” est à comprendre dans une extension plus large et même dans un autre sens que celle de l’ hébertisme par exemple; mais en rapport avec une certaine philosophie de la nature et de l’être : celle précisément du docteur commun. Pédagogie naturelle ou réaliste parce que conforme à la nature humaine qui est de vivre selon la raison. Méthode naturelle comme on dit loi naturelle : ” Elle est appelée ainsi [la loi naturelle] non par rapport à la nature des êtres irrationnels, mais parce que la raison qui la promulgue est précisément celle de la nature humaine ” (Jean-Paul II dans Veritatis splendor ) .
On passe ainsi de la nature à la nature humaine et à la loi naturelle : “expression humaine de la Loi éternelle de Dieu” (Jean-Paul II), “impression en nous de la lumière divine” (saint Thomas) . La loi naturelle, résume en substance l’Aquinate, n’est pas autre chose que la lumière de l’intelligence mise en nous par Dieu, par laquelle nous connaissons ce qu’il faut faire (le bien) et ce qu’il faut éviter (le mal) . Par exemple : ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse… Les dix commandements sont l’expression privilégiée de la loi naturelle.
[…]
L’âme du scoutisme, c’est sa loi, résumait le chanoine Cornette, ” expression concrète des pures maximes de L’Évangile, traduction en formules brèves et claires, ad mentem adolescentium , des principes posées par le Décalogue et le Sermon sur la Montagne ” ( Le chef , novembre 1936) .
On ne peut ainsi aborder la ” philosophie du scoutisme ” , pour parler comme Mgr Bruno de Solages [2]Philosophie du scoutisme par Mgr Bruno de Solages, Association des Scouts de France, 1934, sans une approche réaliste du monde, une lecture intrinsèque de la nature et une compréhension de la loi naturelle, en opposition avec tout l’idéalisme ou le nominalisme modernes.