On a dit et redit que le scoutisme de Baden-Powell était sa parfaite adaptation aux désirs, instincts, besoins du garçon. On a souvent rappelé qu’il avait été inventé par Baden-Powell pour le jeune adolescent, le garçon entre 11 et 17 ans. L’invention originale est le scoutisme de l’éclaireur, auquel le louvetisme a été ajouté comme une préparation, la Route comme un prolongement et achèvement. Ce sont des vérités qui, chez nous, vont sans dire mais qu’il est bon néanmoins de redire pour ne pas les oublier […]
Depuis l’entrée à la meute jusqu’à la sortie du clan, la carrière scoute est une croissance, jalonnée par des engagements de plus en plus exigeants et compromettants, et dont chacun est un appel à se dépasser, une ligne de visée. Le vrai scout, vrai garçon, est toujours en pensée et en désir en avant sur ce qu’il est, en élan.
Mais, parce que, dans le scoutisme authentique, la loi et les activités sont inséparables, comme l’âme et le corps, comme un idéal vécu et ses réalisations, comme une philosophie et la méthode qui en sort, il s’ensuit donc que le scoutisme propose aux garçons des activités de grand, toujours d’un plus grand il n’est. Un scoutisme si bien adapté, si bien proportionné à l’âge du scout, qui soit un jeu d’enfant, n’a plus de vertus éducatives et manque d’intérêt pour le garçon. […]La patrouille scoute de Baden-Powell groupe des garçons de 11 à 17 ans. Quiconque entend faire autre chose doit au moins savoir que son scoutisme n’est pas celui du fondateur. Mais il vaut la peine de réfléchir et essayer de comprendre pourquoi Baden-Powell avait commis cette « hérésie » de faire vivre ensemble dans la vie scoute des garçons de 11,13 et 14, 15 et 16 ans. L’expérience répond, s’accordant à l’expérience des familles nombreuses, comme à la psychologie de la croissance.
Les grands scouts sont nécessaires aux petits pour qu’ils ne s’endorment pas dans la médiocrité de leur enfance, qu’ils se dégagent de leur puérilité, qu’ils haussent leurs ambitions, qu’ils se dépassent. Les petits scouts sont nécessaires aux grands pour que cette croissance, ce passage d’un âge à un autre se fasse sans rupture, sans durcissement, pour que les responsabilités réelles dont ils sont chargés envers les petits et le respect qu’ils leur doivent les oblige à devenir des grands au lieu de jouer entre eux au grand, à être sérieux et non à se prendre au sérieux.
Si jamais les troupes raiders devenaient des troupes de grands, de costauds, avec quelques petits pour faire un public et une claque derrière les barrières ou sur la touche, elles auraient manqué leur but.
Revenons donc à la nature, dont le scoutisme est une école. Le garçon ne grandit qu’au prix d’un constant effort pour grandir et se dépasser, d’un constant enjambement.
Voilà pourquoi aucune de nos branches ne correspond exactement à une seule étape de la croissance, que chacune d’elle est à une charnière, que le louvetisme réunit les garçons de la première enfance et de la deuxième, celle que j’appelle adulte ; le scoutisme des éclaireurs, des enfants adultes et de jeunes adolescents, la route, de jeunes adolescents, de grands adolescents et quelques jeunes hommes. On peut évidemment, quand on cherche la commodité ou même le rendement immédiat et apparent, s’aligner sur les écoles avec leurs classes, leurs divisions homogènes. Mais on ne fait plus du scoutisme parce qu’on ne satisfait plus le besoin ou appétit de grandir, ou qu’on en méconnaît les conditions naturelles. »Père Jean Rimaud, Le Chef n°276, avril 1951, pp. 17-20.