Jalons d’histoire de l’Ordre Scout

Dès 1918 le Père Sevin, en rédigeant le règlement de la future Fédération des Scouts de France, pensait déjà à l’organisation d’un Ordre Scout pour les chefs – comme l’a montré le livre du P. Manaranche (S. J.), afin de ” sanctifier et maintenir ” le scoutisme à la hauteur de sa mission surnaturelle.

Au cours de l’année 1920-1921, le projet mûrit. La première conception de “l’Ordre scout”, et peut-être la plus clairement expliquée, se trouve dans une lettre que le père Sevin écrivait à Jean Rupp, le 30 septembre 1921 . Il lui y explique ses projets :

  • fonder à l’intérieur des Scouts de France une sorte de Tiers Ordre ayant pour but de former des scoutmestres d’élite, la scoumaîtrise étant œuvre d’apostolat
  • accessible aux hommes mariés, donc deux catégories prévues
  • divers degrés suivant la rigueur des obligations (Promesse ou vœu) sur quatre vertus : humilité, obéissance, pauvreté, chasteté
  • sorte de noviciat ou temps d’essai
  • grande valeur professionnelle dans le scoutisme, vie intérieure profonde, ascétisme chevaleresque
  • pas de nom décidé, mais une certitude sur l’allure et le but : “beaucoup de désintéressement, de détachement, de mortification intérieure, pratiques de piété non multipliées, mais sérieuses, de la souplesse dans la rigueur de l’ascétisme, mais de la générosité à plein cœur pour l’amour de Notre Seigneur, de Notre-Dame et des âmes d’enfants que nous, chefs, nous devons former…”

À la fin du 1er Cours de Chamarande, Pâques 1923, où se trouvaient réunis providentiellement ceux à qui il avait fait part de ses projets individuellement, il se sentit poussé à “lâcher son secret”. L’abbé Cornette, présent, s’enthousiasma: “Cher Père, faites cela”.

À Noël 1923, au cours de la retraite de chefs, le serviteur de Dieu réunit les huit ou dix chefs au courant du projet. Il leur expose le plan un peu plus en détails, leur remet une image-souvenir : “La communion du Chevalier” et recommande la discrétion jusqu’à ce qu’il ait pris l’avis de l’abbé Cornette sur l’opportunité de lancer la chose.

Mais certains aumôniers s’inquiétaient de l’influence du Père Sevin sur les chefs à Chamarande allant jusqu’à l’accuser (dès 1923/1924) d’y avoir suscité une organisation occulte “Les chevaliers de saint Georges”… Au milieu de janvier 1924, vives réactions de l’abbé Cosson (curé de Saint-Jean-Baptiste de la Salle à Paris) prévenu par un Révérend Père o.p., confesseur d’un des louvetiers présents à cette retraite. À la suite de toutes ces difficultés, démission du père Sevin comme Commissaire Général en 1924.
Le Père Sevin notait lui-même (dans son sommaire des étapes de sa vie, écrit en 1947)   :
“Démission de Commissaire Général, demandée par le Gal de Salins, en février 1924, provoquée et quasi exigée par M. Cosson, curé de S. J. B. de la Salle, à cause de l’O. S.

1924 – Mai : “Dans la séance qui consacrait ma démission, le Q. G. me chargeait d’aller d’urgence à Rome d’où venaient des rumeurs alarmantes de condamnation du scoutisme.”

En Décembre 1925, l’Aumônier général, convaincu d’une baisse spirituelle chez les chefs, encourage le père Sevin à reprendre son projet d’Odre Scout.
Le 31 décembre, une messe dans la crypte de Saint-Bénigne à la fin du Congrès de chefs (Dijon) est organisée spécialement pour eux, avec le chanoine Cornette. Mais à nouveau l’intervention brutale de curés de Paris (Abbé Cosson) fait reculer le projet :   en janvier 1926 le Vieux Loup le supplie de renoncer à son projet, le Général Guyot de Salins lui ayant déclaré : “Si le père Sevin n’arrête pas, je donne ma démission dans les 24 heures”.

1929 : Janvier, à la suite d’une conversation avec le Vieux Loup, le Père Sevin reprend le projet enfoui depuis trois ans. Et c’est la première réunion officielle de spiritualité qui eut lieu, pour les chefs, le 14 février 1929 en l’Eglise saint Leu – saint Gilles à Paris (Eglise capitulaire des Chevaliers de l’Ordre du saint Sépulcre) en présence du Père Sevin, du Chanoine Cornette et d’Edouard de Macedo et d’une dizaine de chefs. Cette veillée d’armes et adoration fut suivie d’une réunion tous les 15 jours (une fois, adoration à Saint-Leu -Saint-Gilles, et l’autre fois conférence spirituelle) .

En septembre, bénédiction du premier fanion par le chanoine Cornette : fanion blanc frappé de la croix potencée écarlate de Jérusalem avec, au centre, une fleur de lys d’or cantonnée de quatre fleurs de lys  (voir aussi son premier drapeau du Père Sevin pour les “Guides” de Mouscron) .

Le 28 décembre (ou à la semaine sainte ?) retraite à Valloires, où le Père Sevin présenta la règle provisoire de l’Ordre des Chevaliers de la sainte Croix de Jérusalem.  Ce qu’on appelait alors l’ O. S. (Ordre Scout) prévoyait d’associer : des laïcs mariés (“Chevaliers d’Alliance”), à une branche sacerdotale (Chapelains de l’Ordre), et à des consacrés (“Chevaliers Francs”) .

31 mars 1931 : l’expérience des chefs ayant réussi, le moment semblait venu de tenter la même expérience près des cheftaines . La première réunion regroupa dix ou douze cheftaines autour du père Sevin et du chanoine Cornette qui dit tout ce qu’il attendait de cette nouvelle fondation, pour le bien du scoutisme. À la Pentecôte, l’A. G. accompagne le père Sevin à Valloires pour étudier sur place la fondation du noviciat féminin.

Bientôt, des adversaires ne manquèrent pas de se plaindre aux Supérieurs du père Sevin. Le père Thoyer demanda un rapport sur la question et, sans l’attendre, sans envoyer aucun document au T. Révérend Père général des Jésuites, il émit pour des raisons de difficultés extérieures une opinion défavorable, ce qui provoqua de Rome une réponse négative.
L’O. S. en tant qu’Ordre ne pouvait plus exister. Un simple Cercle spirituel était tout ce qui pouvait subsister.

Au milieu du second trimestre de l’année scolaire 1931-1932, la Père Plazenet fonde avec quelques Scouts-Routiers de la Réunion des Étudiants une association spirituelle sous le nom de Compagnie Scoute de Saint Bernard. Ils y renouvellent leur promesse, s’engageant en outre “à travailler de toutes mes forces à ma sanctification personnelle et celle de mes frères scouts”.

Après avoir dû finalement, par obéissance, abandonner en 1933 ses fonctions de Commissaire à la Formation des Chefs à Chamarande (mais également l’Office International des Scouts Catholiques et la revue Le Chef qu’il avait fondés), le Père Sevin n’avait plus eu le droit que d’animer un cercle spirituel (voir par exemple dans la lettre du cercle n°6 du 1er juin 1936 son article : “Le Scoutisme est-il ou a-t-il une Spiritualité ?”) et de prêcher quelques retraites.

Ses contacts avec les Chefs (Scouts de France) furent dès lors sévèrement surveillés (et même dénoncés) . Du coup ce furent surtout d’anciennes cheftaines et les Guides de France qui profitèrent de son enseignement. Il parviendra à les regrouper pendant la guerre en communauté. Ce sont les ” Dames de la Sainte Croix de Jérusalem “.

En 1947 et 1948, le père Forestier -qui a reçu consigne (secrète) de l’Assemblée des Archevêques et Cardinaux s’opposer à tout ordre religieux issu du scoutisme- se plaint à l’Action Catholique de cette fondation et du fait que le père Sevin en parle. Mais en juin 1949, l’évêque de Beauvais, Mgr Rœder, accepte Sainte Croix de Jérusalem comme “pieuse union” de droit diocésain qui s’installe à Boran- sur-Oise.

Un an avant sa mort, un ultime sacrifice lui a été demandé… Alors “qu’actuellement, 3 Prêtres (2 du diocèse d’Arras, 1 du diocèse de Luçon) demandent “à commencer absolument” cette année 1950 ” (compte rendu p.3), ses projets de branche masculine de la Sainte-Croix sont toujours empêchés.

Et le 22 mars 1950, il reçoit l’ordre de la part du P. Général des Jésuite pour que ” vous vous trouviez un successeur comme Directeur, confesseur ordinaire et aumônier résident à Boran. Réfléchissez à ce problème et proposez moi la solution qui vous semble la meilleure pour l’Institut. ” La réponse est immédiate. le jour même, il écrit : ” Un jésuite n’a pas deux réponses aux décisions de ses supérieurs : le T. Révérend Père Général et vous-même pouvez compter sur mon obéissance absolue, sans marchander… ”

Mais le Père Jacques Sevin rentre à “la Maison du Père” le 19 juillet 1951. Voici le récit de sa dernière visite (rapporté par Mère Jacqueline Brière) : “À monseigneur Rupp venu le voir dans la matinée, il s’exclame très ému “Jean, Jean” et le regarde intensément. Pendant que monseigneur Rupp le bénit, il porte sa main au front dans un grand geste. Alors, monseigneur Rupp lui demande sa bénédiction. Le Père le bénit lentement, solennellement, avec une majesté, une grandeur inoubliables tout en prononçant les paroles. Lorsque monseigneur Rupp quitte la chambre, le Père le suit des yeux et le bénit encore.”

Sur la tombe de Monseigneur Rupp à Sainte Marie Majeure

Ce rappel à Dieu du Père Sevin, et l’interdiction qu’on lui avait fait de grouper des aumôniers scouts ou anciens scout, n’ont pas permis le lancement de son vivant des Frères et des Pères pour lequel il avait commencé à adapté ses Positions Sacerdotales.

Le Père Sevin n’avait fait part de ses projets d’Ordre scout au Père Revet que lors d’une brève rencontre au pèlerinage de Vézelay en 1946 (suivie d’une lettre le 13 décembre). En 1959 le Père Revet participera à une retraite à Boran, et des religieuses de la Sainte Croix viendront l’aider à des camps.

Peu avant la mort du Père Sevin, Mgr Rupp , ancien Assistant de Chamarande devenu évêque auxiliaire de Paris, reçut du fondateur la mission de continuer son œuvre “plusieurs jeunes étaient prêts à s’offrir” (Semaine religieuse de Paris 25 août 1951) . C’est lui qui, le 12 octobre 1952 sera appelé pour la bénédiction d’un monument érigé sur la tombe du père Sevin Au Jubilé de la Sainte Croix de Jérusalem en 1959, le Père H. Vanderhaghen rappelait encore : ” Mgr Rupp qui célèbre la Messe au milieu de nous ce soir, c’est à lui qu’avant de mourir le Père avait confié ses filles… ” (sermon page 4) .

C’est ainsi que Mgr Rupp devint le premier Supérieur de la branche masculine de l’Ordre de la Sainte Croix de Jérusalem. Sous forme d’une ” pieuse union ” elle sera érigée canoniquement dans les diocèses d’Arras et de Monaco (plusieurs ordinations de prêtres, comme à Liévin, eurent même lieu à ce titre) . Mgr Rupp, retrouvant dans les papiers du Père Sevin le nom du Père Revet, va le pousser à entreprendre une œuvre de sauvetage et de ” protection et de l’enfance et de l’adolescence ” et il soutiendra jusqu’à sa mort cette œuvre. À partir de 1963 ses premiers membres se regroupèrent sous la forme nouvelle d’Institut Séculier. C’est en 1968 au chapitre général de la Sainte Croix de Jérusalem à Lens que le Père Albert Revet présenta sa conférence sur la spiritualité scoute.

Le P. Albert Revet sentait le besoin de renforcer cette simple fraternité de prêtres qu’était alors la Sainte Croix de Jérusalem masculine en l’appuyant sur la grande tradition bénédictine. Dès 1964 Mgr Rupp avait souligné le caractère bénédictin de la Spiritualité de cet institut. Avec Dom Jean Roy, Père Abbé de Fontgombault, il signe les nouveaux statuts de l’Institut Religieux. Cette greffe bénédictine n’avait pas été envisagée par le Père Sevin, mais c’est surtout la crise naturaliste du scoutisme comme la crise néo-moderniste dans l’Eglise qui allaient éloigner la branche masculine et la branche féminine de cet Ordre Scout qu’il avait initié.

Des problèmes de personnes surgirent également hélas, et les religieuses de la Sainte Croix coupèrent tout contact. Mgr Rupp se trouva de fait tenu éloigné de celles parmi lesquelles était enterré le Père Sevin. Mais quoiqu’il en soit, il revient aux sœurs de la Sainte Croix de Jérusalem l’honneur d’avoir fait ouvrir le procès de béatification du P. Jacques Sevin au début des années 1990 (et à Rome depuis 1999) . Prions donc, comme l’écrivait le saint Père Jean Paul II à la la Conférence Internationale Catholique du Scoutisme, pour que soient toujours d’avantage reconnus “les sensibilités propres de certaines unités au sein même des fédérations, dans une volonté de dialogue et de compréhension ” ( Vatican, 13 septembre 1998 ) .

La providence voulu que Mgr Rupp mourût entre les bras du Père Revet et du Fr. Jean-Paul Argouarc’h en janvier 1983 à Rome (il repose à Ste Marie Majeure, dont il était chanoine) . Le Fr. Jean Paul Argouarc’h , arrivé à Riaumont en 1968, prit la suite du Père Revet rappelé à Dieu le 30 juin 1986. Et le 20 juin 1993  le cardinal Mayer (Commission Pontificale Ecclesia Dei) venu de Rome à Liévin procéda à l’ordination du Révérend Père Alain Hocquemiller , en présence de l’évêque d’Arras (Mgr Derouet) -avec qui il avait signé l’érection canonique de l’Institut Sainte Croix de Riaumont en 1991.

Il peut être aussi intéressant de noter que d’autres initiatives ont vu le jour, se référant au scoutisme, et que Rome a ainsi déjà parlé plusieurs fois, reconnaissant de fait l’existence d’une spiritualité scoute .
Le 25 avril 1952 , le Vicaire Apostolique de Medan (Sumatra, Indonésie) approuvait un Institut “Gezellen Van Sint Joris” ( Compagnons de saint Georges ) fondé deux ans plus tôt dont les membres se dévouaient dans les œuvres de jeunesse et plus spécialement dans les rangs du Scoutisme. Cet “ordre scout” a aujourd’hui disparu, ses archives étant passées aux franciscains.

Le Père Lucien-Marie Dorne fondateur de la Famille Missionnaire de Notre-Dame (Institut de Vie Consacrée érigé canoniquement par l’évêque de Viviers) s’est aussi formellement inspiré du scoutisme qu’il a connu du temps du Père Sevin.

Les ” Servi Jesu et Mariae ” – à ne pas confondre, avec ceux d’Ourscamp – sont encore d’autres ” cousins ” (germains…) . Leur fondateur allemand le Père Hönisch (S. J.) a été l’aumônier à l’origine de la K. P. E., c’est à dire de la branche catholique des Scouts d’Europe allemands. Actuellement implantés en Bavière, en Autriche, et à Toulon, ils furent érigés canoniquement en 1994 (Ecclesia Dei), et se réfèrent aussi au scoutisme traditionnel dans un apostolat consacré aux jeunes.

 

Mgr Rupp Prieur de la Ste Croix de Jerusalem (Citadelle n°102 octobre 2020)
Mgr Rupp & la Ste Croix

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