La formation religieuse et liturgique

Pour engendrer les âmes ardentes auxquelles ils aspirent, les SdF s’efforcent de donner une formation doctrinale complète à leurs ouailles et de leur procurer le plus souvent possible le secours des sacrements. Au camp , tous les moyens sont mis en œuvre pour rappeler au scout qu’il appartient à une association catholique et qu’il doit chercher à se sanctifier à travers toutes les activités. “En arrivant à l’endroit où sera le camp, on dressera une grande croix solide, bien en vue, à une belle place, non loin et même devant le mât de camp […] Le signe du Christ doit dominer le camp SdF” (in BdL n°44, janv.1934). De même, à peine les installations sont-elles terminées, c’est-à-dire les constructions de bois effectuées par chaque patrouille pour aménager son lieu particulier (table, vaisselier, oratoire…), que l’aumônier bénit l’autel, le camp entier et chaque coin de patrouille, selon un cérémonial spécifique. D’autre part, parmi les fournitures de base, le minimum vital à transporter dans son sac à dos, “il sera rappelé aux campeurs qu’ils doivent emporter livre de prières, chapelet (ou dizainier scout) et scapulaire” (in BdL n°44, janv.1934). Le dizainier, souvent appelé improprement anneau basque, bague ornée de dix petites boules permettant de réciter une dizaine de chapelet, est répandu en France, quoique d’ancienne tradition, par les SdF, qui facilitent ainsi le port permanent du chapelet. Quant au scapulaire, il s’agit, au départ, d’un vêtement que la Sainte Vierge aurait donné, au XIIIème siècle, à saint Simon Stock. Il se propage alors rapidement parmi les fidèles, qui s’en font imposer le modèle réduit sous leurs habits, car son port s’accompagne de la promesse mariale que quiconque mourrait avec éviterait la damnation éternelle. Les innovations de la pédagogie de BP n’entraînent donc pas les SdF à mépriser les moyens traditionnels de l’Eglise, notamment les pratiques médiévales, pour assurer son salut.

Dans l’ensemble, on en a déjà parlé à propos de l’apostolat, la formation scoute se double d’un solide enseignement doctrinal. “Toutes les troupes doivent exiger pour le degrés de première classe la connaissance de l’ensemble de la doctrine catholique” (Règlement général, La Hutte, Paris, 1935, p.64). Or s’il demeure rare qu’un scout atteigne la dignité suprême de chevalier de France, beaucoup obtiennent leur première classe. Elle est d’ailleurs obligatoire pour devenir CP. Quant au père Héret, lors de la première retraite des aumôniers scouts, il rappelle bien que si le prêtre doit utiliser la pédagogie scoute pour imprégner le garçon de religion, il ne doit pas pour autant négliger l’enseignement catholique traditionnel. “Pour remédier à une mentalité pervertie ou au moins anémiée, nourrissons la pensée (des scouts) d’une doctrine authentique. Pas de dévotions mièvres, pas de catéchisme vague : la forte pensée catholique, celle des Pères, des Papes, des conciles, de saint Thomas ! ” (Père Héret o.p., Première retraite des aumôniers scouts, Spes, Paris, 1927 ; p.15).

Un chef peut alors s’exclamer face à tous les bienfaits spirituels d’un camp -et c’est ici un point de vue laïc : “Que dire des chères veillées scoutes, adaptées des veillées des chevaliers, cœur à cœur fréquents et silencieux des jeunes et du Divin Maître […] , des messes dialoguées […], des prières en plein air au milieu des cathédrales naturelles de nos forêts, des visites au Saint Sacrement au hasard de la route, dans l’église trop solitaire, des pèlerinages, des récollections, des retraites fermées, enfin des contacts incessants de l’âme sacerdotale de l’aumônier et de ses fils” (Lucien Goualle, in BdL n°25, avr.1932). On se demande peut-être ce que signifient “messes dialoguées”. Il s’agit de messes au cours desquelles toute l’assistance répond en latin aux prières liturgiques du prêtre. Peu commodes dans les grandes églises, où le prêtre, séparé des fidèles par le chœur, peut difficilement s’en faire entendre, ces messes sont très prônées en camps scouts. Mais il faut replacer cette innovation dans le contexte de l’histoire de l’Eglise.

En effet, par suite du quiétisme et du gallicanisme, la France du XVIIIe siècle perd le goût de la liturgie, bientôt suivie par le reste de l’Europe. Or la liturgie, culte officiel rendu à Dieu par l’Eglise, est considérée comme le prolongement de la prière du Christ Lui-même à son Père. Il s’agit essentiellement de la messe, de toutes les prières de l’ordinaire, c’est-à-dire communes à toutes les messes, comme du propre de chaque jour. Et voilà deux-cents ans que les prêtres se désintéressent de ces prières-là, et que les fidèles profitent de la messe pour prier personnellement ou réciter leur chapelet, sans suivre la liturgie, quand Dom Guéranger, au milieu du XIXème siècle tente d’en redonner le goût , notamment dans sa fondation bénédictine de Solesmes. Mais ce renouveau se déplace vers la Belgique lorsque, en 1901, Solesmes et ses filières doivent s’exiler. Il reçoit alors, avec l’arrivée sur le trône de Pierre de saint Pie X , en 1903 , son impulsion définitive. À peine sa fonction prise que le Pape, dans son motu proprio pour la restauration du chant grégorien, encourage les fidèles à une “participation active aux Mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Eglise” (Pie X, in “Tra le sollicitudini”, du 22 nov.1903, cité dans les Enseignements pontificaux, tome sur la liturgie, éditions de Solesmes). C’est donc de saint Pie X que les SdF se recommandent dans leurs encouragements à participer au renouveau liturgique. Un article intitulé “Pour que nos scouts assistent bien à la messe”, dans la revue des aumôniers, cite ainsi le Saint- Père : “Il ne s’agit pas de dire des prières pendant la messe, il s’agit de faire de la messe sa prière” (Pie X, cité in BdL n°53, déc.1934).

En effet, le père Sevin a fait son noviciat en Belgique juste au moment de la diffusion du renouveau liturgique. En 1909 , Dom Beauduin y lance le Mouvement liturgique, qui veut répandre cette dévotion parmi tous les fidèles, notamment par la première traduction en français du missel romain, puisque le problème ne se posait pas du temps ou savoir lire et connaître le latin étaient synonymes . Les missels se répandent alors, et permettent de suivre les prières liturgiques de l’ordinaire de la messe (prières au bas de l’autel, offertoire, canon…) et du propre de toute l’année liturgique (collecte, secrète, postcommunion, lectures, etc.) . En 1920, Dom Gaspar Lefèbvre explicite bien le but du Mouvement liturgique : “Restaurer dans le Christ la société chrétienne en la faisant : 1°. Glorifier Dieu par l’exercice, digne et conscient, du culte officiel qui Lui est dû ; 2°. Se sanctifier elle-même par la participation active à la liturgie qui est, au dire de Pie X, la source première et indispensable du véritable esprit chrétien.” (Dom Gaspar Lefèbvre, Liturgia, abbaye Saint-André, 1920). À ce moment-là, Dom Beauduin s’est détourné de son Mouvement liturgique pour s’intéresser à la spiritualité orientale : nous le retrouverons bientôt dans des activités moins catholiques! Mais en France, aux lendemains de la première guerre mondiale, le renouveau liturgique se répand lentement, et les SdF décident de s’en faire les apôtres.

Le père Sevin en parle déjà dans Le Scoutisme , dont il commence la rédaction en 1916, pendant son exil en Belgique. ” Que la prière soit surtout vivante, adaptée, en rupture ouverte avec ces formules non liturgiques, banales, incompréhensibles aux enfants, qui trop souvent encombrent les paroissiens […] Le camp servira lui-même de préparation, d’acheminement à cette retraite annuelle qui en sera non l’antidote et le remède, mais le couronnement” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme, Spes, Paris, 1922, p.141). Or les paroissiens sont justement les livres de prières qui aident à faire oraison pendant la messe, mais sans donner les formules liturgiques elles-mêmes. Ils sont aussi déconseillés dans l’article” Pour que nos scouts assistent bien à la messe “, qui prône, en revanche, les missels et les messes dialoguées, et propose finalement une méthode qui” consiste à suggérer aux assistants des prières ou de courtes réflexions personnelles correspondant aux prières et aux actes du prêtre célébrant” (in BdL n°53, déc.1934). Et encore, cette tolérance de prières personnelles reste réservée aux plus jeunes, que la concentration aux seules formules liturgiques risquerait d’ennuyer. Il s’agit donc d’une préparation à la liturgie pure.” Les scouts doivent profiter de leur camp pour réaliser une liturgie catholique vivante, priante, éducative. […] . Que les scouts soient tout proches de l’autel, qu’ils puissent suivre les gestes du prêtre et entendre ses paroles. […] . De plus, le chef apportera un missel dans lequel il lira à haute voix l’oraison, l’épître et l’évangile du jour. […] . Il faut leur apprendre à suivre la messe, à se débrouiller dans leur missel” (Abbé J. Morel, in Le Chef de juin 1938, p.431 à 434). Le Manuel de piété des camps scouts (Chanoine Gros, Publiroc, Marseille, 1929) révèle aussi l’importance des prières liturgiques. Il est conçu en format de poche, et, à considérer comme il s’est bien vendu, on peut supposer que la plupart des scouts le portaient sur eux en permanence. On y trouve un missel adapté aux louveteaux en plus de l’ordinaire de la messe. Un chapitre est réservé à la manière de servir la messe basse. Tandis que la première édition de 1929 donne les évangiles des périodes de camp (Noël, Rameaux, semaine sainte, Pâques, été), l’édition refondue de 1947 ajoute tous les dimanches de l’année à cause de la multiplication des week-ends.

Sans vouloir déborder de l’entre-deux-guerres, cette nouvelle édition, qui encourage la messe face aux scouts, témoigne d’évolutions officieuses pendant la période précédente. Tandis que l’aumônerie générale reste fidèle au mouvement liturgique lancé par saint Pie X, certains commencent à le détourner. En particulier, le père Doncœur décide dès 1923 (D’après le Révérend Père Duployé, Les origines du C. P. L. (Centre de pastorale liturgique) 1943-1949, Salvator, 1968, p.338) de se lancer dans de nouvelles innovations et d’utiliser un mouvement de jeunesse pour les répandre. Il fonde alors lui-même les Cadets, et accepte de devenir aumônier des routiers en 1924, et s’occupe essentiellement de la formation des chefs. Il en profite pour expérimenter ses nouveautés liturgiques et considère de plus en plus la messe, culte divin, comme un moyen pédagogique : on est déjà sur le chemin du nouvel ordo missae de 1969, bien que le père Doncœur, contrairement au dépouillement postérieur, exalte le sens du sacré . Il fréquente alors les retraites de Dom Beauduin, ostensiblement visé par la condamnation du faux œcuménisme, au début de 1928, dans l’encyclique “Mortalium animos” de Pie XI, mais rapidement sorti de sa retraite, et dans les mêmes dispositions qu’avant l’intervention papale. De plus, le père Doncœur entraîne dans ces récollections plusieurs aumôniers scouts.

Cependant, il ne faut pas confondre ces initiatives personnelles avec le mouvement liturgique prôné officiellement par les SdF, dans la droite lignée de saint Pie X, du moins pendant toute l’entre-deux-guerres. Le chanoine Cornette, qu’on ne peut pas soupçonner de fantaisies cultuelles et qui, par sa fonction comme par sa main-mise sur le BdL , donne le ton à toute l’aumônerie scoute, approuve ainsi les efforts de ses scouts dans ce domaine : “Je vous vois chaque semaine au local faisant une brève analyse de l’Évangile du dimanche […] , préparant ainsi la prière liturgique” (Chanoine Cornette, in BdL n°56, mars 1935). Mais l’innovation la plus” osée” qu’aient promulguée les SdF, au niveau officiel, reste la messe dialoguée, que des raisons tout simplement matérielles rendent difficiles dans les églises jusqu’à l’apparition des microphones. C’est encore le chanoine Cornette qui se réjouit : “De plus en plus dans nos camps, à Chamarande et ailleurs, à l’occasion de nos journées nationales, nous instaurons la messe dialoguée” (Chanoine Cornette, in BdL n°56, mars 1935). Mais il ne s’agit là que de dire tout haut les formules latines de la pure liturgie romaine, sans aucune extrapolation.” La messe commence, dialoguée, parlée, chantée. Il est excellent que tous répondent aux prières du prêtre. Plus les scouts s’uniront à ses prières, meilleure sera leur assistance. <> dit le prêtre aux fidèles à l’Orate fratres; <>.” (Chef Philippe, in Le Chef de janv.1935). Au terme de la formation scoute, le règlement des routiers oblige à “avoir un livre de messe et l’utiliser; savoir servir et chanter la messe; connaître les objets et les ornements du culte et les principes essentiels de la liturgie” (Règlement général, op. cit).

Et, de même que le mouvement liturgique encourage les fidèles à suivre les prières du culte officiel de l’Eglise, il leur recommande de communier fréquemment et dès l’enfance, contrairement à toutes les habitudes issues du jansénisme. C’est encore saint Pie X le précurseur dans ce domaine, avec les décrets “Sacra Tridentina” du 20 décembre 1905, “Acerbo nimis” du 15 avril 1905, et “Quam singulari” du 8 août 1910. Or la France applique encore bien peu ce renouveau aux lendemains de la guerre, et les SdF s’en font alors les zélateurs. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que cette participation du scoutisme catholique français au mouvement liturgique provienne uniquement du séjour du père Sevin en Belgique. Dès 1916, le chanoine Cornette introduit la communion fréquente parmi les cinq articles du code religieux des Entraîneurs de Saint-Honoré d’Eylau . Au moment de la fondation des SdF, l’accord de vues se trouve donc déjà tout réalisé entre les deux prêtres. Les résultats ne tardent pas à se faire sentir. Un article de la revue destinée aux scouts raconte l’expérience d’une retraite scoute, organisée dans le cadre d’un établissement scolaire : “Voilà six mois à peine que la graine a été semée… Et le blé lève!… Actuellement, une soixantaine d’enfants s’approchent chaque jour de la Sainte Table (La Sainte Table, à ne pas confondre avec l’autel, est la balustrade à laquelle les fidèles viennent s’agenouiller pour recevoir la communion). ” (in Le SdF n°4, avr.1923, p.80). Il semble bien ici que cette croisade eucharistique tienne vraiment à cœur les responsables SdF . Or, comme la messe est quotidienne au camp, la communion l’est aussi. Le chanoine Cornette cite ici les deux expressions, qu’il aime à répéter souvent, d’un scout décédé tout jeune. Les constatations retrouvées dans le journal de ce scout servent désormais de modèle à reproduire dans toutes les troupes. “Le mot d’ordre spirituel, dans un camp SdF est contenu dans ces deux formules […]” (in BdL n°44, janvier 1934). Ces deux caractéristiques du camp s’avèrent d’ailleurs inséparables, puisque, sans les forces spirituelles que procure la communion, il devient impossible de résister aux tentations. ” Une journée de camp SdF ne se conçoit pas sans la messe […] . C’est une garantie de Grâces pour la journée toute entière” (in BdL n°44, janvier 1934).

Dès l’assemblée générale de juillet 1923, le chanoine Cornette réalise une enquête auprès de tous les aumôniers sur les communions des scouts, et il s’aperçoit que la cause avance à grands pas. Il recueille des témoignages d’aumôniers : “Il (le scoutisme) m’a procuré les plus belles joies de mon ministère sacerdotal et la première de ces joies est une joie eucharistique.” Ou encore : “Toute la troupe (de Chalon) est affiliée à la croisade eucharistique. Cette mentalité eucharistique est devenue la mentalité générale de nos troupes catholiques où la plupart des scouts communient soit tous les jours, soit toutes les semaines, soit tous les mois” (Chanoine Cornette, in Le Chef de sept.1923, p.247-248). Bon nombre de troupes organisent une communion perpétuelle, c’est-à-dire un roulement pour que, chaque jour, un scout communie à tour de rôle au nom de la troupe et à ses intentions. De plus, à partir d’avril 1934, le BdL indique chaque mois des jours particuliers de communion à certaines intentions. Les aumôniers s’organisent alors avec la troupe pour dire la messe, ces jours-là, à une heure où beaucoup de scouts pourront venir.

Mais en plus de se répandre rapidement dans les troupes SdF, la communion fréquente gagne bientôt, grâce au modèle des scouts, le reste des fidèles. En effet, si la participation à la liturgie par la lecture des missels se communique difficilement à son voisin, la communion se fait devant tout le monde, et, forcément, les scouts entraînent les autres fidèles à approcher la Sainte Table. On a déjà vu qu’ils étaient sollicités à la grand’messe pour y donner l’exemple. Et, lors du cinquième centenaire de la délivrance d’Orléans, le cardinal Lépicier envoie au chanoine Cornette une lettre de félicitations sur ses scouts. “Quel bon exemple aussi ils ont donné, surtout par leurs communions si nombreuses, à toute la France accourue pour fêter la sainte de la patrie” (Cardinal Lépicier, lettre publiée in Le Chef n°70, févr.1930, p.50). Les SdF ne méprisent donc absolument pas les moyens de sanctification traditionnels de l’Eglise, et, au contraire, ils les prônent comme seule façon de devenir un bon scout. Réciproquement, le scoutisme permet d’intérioriser les préceptes catholiques, et d’en faire une règle de vie permanente.

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