Un but : des âmes ardentes pour le Ciel

Les SdF dépassent largement les visées terrestres, et c’est pourquoi il faut “que les préoccupations du chef temporel soient toujours dominées par la préoccupation de tout faire en vue d’un bien final spirituel” (BdL n°44, janvier 1934). Certes, dans la préparation du camp, on recherche tout ce qui peut exalter les garçons, les jeux où ils se dépensent à fond, les veillées autour des grands feux, les nuits sous les étoiles, mais on n’oublie jamais la finalité dernière du camp. Un chant, sous forme d’évocation, le rappelle à tous :

Bénis nos camps d’été,
Garde-les sans reproche.
De Toi, qu’ils nous rapprochent,
Jusqu’à la sainteté.

Chant “Voici le camp d’été” de l’abbé Marer, en 1921 in Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF, Spes, Paris, 1936, p.115

Certes, les garçons sont d’abord incités à être de bon scouts, à remplir leur première obligation, la BA, à observer la loi, fondée sur les principes, à tenir correctement leur place dans la patrouille, etc. Mais, on l’a suffisamment vu, toute la méthode de BP a été spiritualisée, et la loi est devenue beaucoup plus exigeante. Etre un bon scout, chez les SdF, entraîne finalement bien plus loin que dans toute autre association. “Le scout catholique doit être plus parfait que les autres scouts, puisque, servant Jésus et l’Eglise, il va jusqu’au bout de son idéal” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.7). Bien entendu, les efforts exigés sont proportionnels à l’idéal servi.

Le scoutisme s’élève donc au-dessus des simples vertus naturelles, et emmène le garçon bien au-delà d’une fin purement humaine . Il ne l’aide pas seulement à devenir un honnête homme, ” (La société scoute) agira sur l’individu pour exprimer de lui toutes les virtualités qu’il recèle, mais aussi pour tailler, chasser et émonder les tendances pernicieuses que la faute originelle a laissées en lui comme une blessure, même cicatrisée, laisse dans le membre des traces organiques” (C. Lenoir, le Scoutisme français, Payot, Paris, 1937, p.229). Le scoutisme prolonge ici les Grâces du baptême, seules capables de vaincre les conséquences du péché originelle. C’est bien une œuvre catholique, qui ne se contente pas de former des garçons humainement accomplis, mais qui permet de vivre en état de Grâce et d’atteindre la sainteté.

Il s’inscrit donc, ici, parmi toutes les autres œuvres d’Eglise, et les activités scoutes peuvent n’apparaître que comme un appât pour une formation religieuse. Il n’en est rien, car c’est bien la méthode elle-même qui est utilisée pour alimenter l’âme en permanence . “La loi -complétée par les principes et le texte de la promesse- est une règle de vie dont on peut déduire toute une spiritualité, toute une formation progressive à la vie chrétienne” (Abbé de Grangeneuve, in BdL n°9, oct.1930). “SdF, nous ne devons pas nous borner à prendre un uniforme, mais nous devons surtout nous pénétrer d’un esprit, de l’esprit catholique; car l’esprit scout qui va jusqu’au bout de ses principes, ne doit pas être autre chose, à nos yeux, que l’épanouissement, pour nous jeunes, du véritable esprit chrétien” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.25). D’ailleurs, le cérémonial de la promesse donne très clairement le but de l’Association :

-Que désirez-vous?
-devenir Scout de France.
-Pourquoi?
-Pour apprendre à mieux servir >Dieu et mon prochain (A. Rédier, Cérémonial des SdF, éditions des SdF, 1929).
Le scoutisme, revu et corrigé par les pères fondateurs, dispense ainsi la vie de la Grâce s’il est pratiqué dans les intentions que lui donnent ses principes, et mène tout simplement à la sainteté. “Cette sainteté, pour qu’elle soit scoute, il faut que d’une certaine manière elle soit le résultat de notre vie de scout, de nos principes de nos méthodes scoutes” (Père Sevin, s.j., Pour penser scoutement, Paris, Spes, 1934). Faire des saints, c’est donc la même finalité que l’Eglise. ” Ce qu’il nous faut, c’est des scouts d’abord, de vrais scouts, bons campeurs, bons traqueurs, bons pionniers, qui soient tout cela et qui soient des saints […] Il doit donc y avoir des saints scouts et une certaine sainteté scoute. Aumôniers et chefs, nous avons le devoir de la susciter en nos garçons. […] . Là où sont allés les rentrés à la Maison, là où ils sont et nous attendent, eux les premiers saints scouts, va, SdF! … pas moins haut !” (Père Sevin, s.j., in Le Chef n°79, janv.1931, p.7 et 9). L’expression “rentrer à la Maison”, pour signifier mourir, très couramment employée par les SdF, montre bien que l’âme scoute catholique n’a de repos qu’arrivée au terme de sa vie, quand elle s’apprête à recevoir la récompense de toute une existence d’abnégation et de service. Elle n’aspire qu’à cette fin, et vie sur terre pour la vie éternelle.

“Il ne s’agit pas simplement de conduire les scouts au Ciel, mais de les y conduire par le chemin nouveau qui les captive, par la méthode scoute. […] . Le Ciel! La Fédération éternelle ! Le grand rallye divin! Tous les scouts, toutes les troupes, les patrouilles, les chefs, toutes les âmes saintes des nouveaux chevaliers, les nobles âmes en état de Grâce, toutes, toutes là-haut pour glorifier Dieu, pour être immensément heureuses, toujours, toujours” (Un aumônier, Pour mener au Christ mes garçons, La Hutte, Paris, 1938, p.35). “Par la présence, dans notre Fédération, de chefs spirituels, notre programme de scoutisme est complet. C’est à la vie, dans son acception la plus complète et dans son sens le plus sublime, c’est à la vie surnaturelle même, c’est à la vie éternelle , que nous formons.” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p.83).
Car les SdF, on le rappelle, entendent le “toujours prêt” comme l’âme perpétuellement en état de “rentrer à la Maison”. Et le père Sevin remercie Dieu d’avoir donné à l’Eglise de France le scoutisme, qui a déjà fait ses preuves.

Nous Vous remercions de ces morts magnifiques
Merci pour la promesse et merci pour la loi
Au grand jour de l’appel, Dieu les a trouvés prêts
C’est pour en venir là qu’ils ont fait leur promesse
Que cet arbre était bon qui produit fruit pareil.

“Décennal”, poème de 1930, in Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF, Spes, Paris, 1936, p.323

 

Mais ce n’est pas parce que les SdF vivent pour l’au-delà qu’ils ne savent pas profiter du bonheur de ce monde. Au contraire, la bonne humeur et la joie abondent chez eux, et ils se trouvent apparemment très heureux de leur passage sur la terre. Seulement, ils tirent leur bonheur de la pensée de celui qui les attend, là-haut. Leur espérance de la vision béatifique leur embellit la vie quotidienne. C’est là d’ailleurs le bonheur de tout chrétien. Mais les scouts exaltent, en plus, la magnanimité , et les idéaux qui permettent de profiter de cette vie pour déployer sa générosité et entraîner les autres avec soi. “Ainsi saint Thomas voyait-il les héros! C’était des hommes qui étaient grands, qui dépassaient les autres parce qu’ils ne cherchaient dans la vie que l’honneur, l’honneur véritable, celui d’une vie vertueuse. […] . Aux âmes vulgaires, les joies communes; à nos grandes âmes scoutes le bonheur exaltant de la vie divine commencée.” (Père Héret, o.p., La loi scoute, Spes, Paris, 1929, p.70 et 73).

De plus, la sanctification par le scoutisme monte sans cesse : elle commence dès les louveteaux, pour progresser jusqu’aux routiers, et, par la promesse et la cérémonie du départ routier, engagement de vivre toujours selon l’idéal scout, elle se prolonge toute la vie.

Vers les sommets!
Oui ! avec l’aide du divin Guide,
De la jungle au camp, et du camp à la route
Et au terme, le Ciel!
Le scoutisme est une ascension !  (Chanoine Cornette)

Et le Manuel de prières des camps scouts propose comme invocation du soir, reprise de la prière des routiers composée par le père Doncœur : “Que nourris de l’Hostie, ce vrai pain des routiers, nous cheminions allégrement malgré fatigue et contradictions, sur le chemin qui nous mène droitement à la Maison du Père . […] . Prions pour que tous les SdF soient réunis là-haut, près de leur chef, au dernier jour” (Chanoine Gros, Manuel de piété des camps scouts, Publiroc, Marseille, 1929, p.34).

Quelle responsabilité, alors, pour les chefs! “Chef, tu travailles à la rédemption de ceux qui t’ont été confiés” (Chanoine Couturier, in Le Chef de mai 1936, p.379). Bien entendu, il est toujours impressionnant de penser que l’on contribue à l’avenir de garçons, que notre dévouement, notre préparation des activités, notre propre exemple retombent sur autrui. Mais combien plus impressionnant lorsque les conséquences se perpétuent éternellement. “Le premier devoir du chef est d’aider la vie divine à subsister dans les âmes des scouts” (Père Sevin, s.j., Pour penser scoutement, Paris, Spes, 1934). Un chant des camps-écoles rappelle aussi ce devoir apostolique. “Nous sommes chefs : faites-nous, comme Vous, bons pasteurs” (“Bonsoir, Cham” (Père Sevin, s.j., Les chansons des SdF, Spes, Paris, 1936, p.172). Et la responsabilité se retrouve à chaque niveau. La prière des CP, récitée au début de chaque cour d’honneur, leur rappelle bien la hauteur de leur tâche. “Seigneur et Chef Jésus-Christ, qui, malgré ma faiblesse, m’avez choisi comme chef et gardien de mes frères scouts, faites […] que je sache […] conduire ma patrouille d’étape en étape jusqu’à Vous, ô mon Dieu , dans le camp du repos et de la joie où Vous avez dressé votre tente et la nôtre pour l’éternité” (Prière des CP, in Le Chef n°1, mars 1922, p.11).

La responsabilité des CP est telle, et les conséquences si graves, que le père Sevin, dans ses Méditations scoutes , où il fait parler le Christ Lui-même, met en garde les chefs de toujours les choisir en fonction de critères religieux, sans privilégier les qualités humaines. C’est encore la primauté du spirituel sur le temporel. “Si un ami qui vous est cher comme la pupille de l’œil vous porte au péché, faites-le partir. Si un CP qui vous est aussi utile que votre main droite, est une occasion de chute pour ses frères, retranchez-le sans pitié, comme vous amputeriez votre main droite si elle était gangrenée. Mieux vaut pour vous perdre un ami, mieux vaut pour la troupe perdre un boute-en-train et un vrai chef que de sombrer vous-même dans le péché ou de voir la troupe déchoir de mon amour. […] . Travaille pour gagner ta vie -et ton pain-mais travaille aussi pour gagner la vie éternelle, car <>. Et quand Je dis aussi, Je dis d’abord” (Père Sevin, s.j., Méditations scoutes sur l’Évangile, tome II, Spes, Paris, 1932, p.23 et 9). Et du SM au CP, il n’est pas jusqu’au simple scout qui ne doive être responsabilisé sur son salut. Le chanoine Cornette insiste auprès de ses aumôniers pour que le scout soit bien au courant de la finalité des SdF car, encore une fois, il ne s’agit pas de les séduire et de les convertir subrepticement. “Que […] les garçons aient à cœur de purifier leurs intentions de scouts, dans la persuasion que tout le côté extérieur du scoutisme (uniforme, jeux, badges, camp, etc.) n’est qu’un moyen d’arriver à une perfection plus grande de l’âme” (in BdL n°53, déc.1934).

Mais les SdF vont encore plus loin. Déjà, ils estiment que le scoutisme catholique mène ses adeptes au Ciel. Pourtant, ils refusent de s’en tenir au simple aspect négatif d’éviter l’Enfer. Ils veulent former des âmes ardentes à se “dépenser sans compter”, comme dit la prière scoute. On a déjà vu que la promesse, dans cette optique, ne devait pas peser sur les adolescents comme un serment. Il en est de même pour la BA “Surtout, n’introduisons pas la notion de péché, même véniel, dans le cas de manquements à cette obligation. Ne troublons pas la conscience de nos gosses : nous avons là une belle occasion de leur montrer qu’il y a parfois mieux à faire que d’éviter le péché, ne la manquons pas” (P. Morlet, in Le Chef d’avr.1934, p.191). Car la pédagogie de BP sait mettre à profit l’ardeur naturelle de la jeunesse, sans l’émousser, pour la canaliser dans le sens désiré. “À la base du système, il y a cette constatation que les actes bons ou mauvais de l’enfant découlent de ses forces vives qui, si elles s’orientent plus facilement vers le mal par suite des conséquences du péché originel, ne sont cependant par elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises. L’idée sera donc d’utiliser ces forces, de les orienter et non pas de les détruire” (Mgr. Dubourg, in Le Chef n°115, jt.1934, p.378). Il apparaît souvent difficile, en matière de religion, d’articuler la soumission à la volonté divine, aux mystères doctrinaux et à la loi morale de l’Eglise d’un côté avec le développement de la personnalité de l’autre. Une solution de facilité, pour l’éducation chrétienne, consiste à éteindre le caractère. Résultat : un catholique dans les règles, mais sans plus. Or “Dieu vomit les tièdes” (Apoc., III, 16) . Le scoutisme, lui, se propose de donner à l’Eglise des âmes d’élite et il prétend allier, par sa méthode, au même titre que l’obéissance et l’initiative, la soumission aux exigences de la religion et la personnalité. Le père Sevin explique que “le caractère est le nord de cette rose des vents scoute dont la recherche de Dieu est le centre” (Père Sevin, Pour penser scoutement, op.cit., p.157).

Mais, pour finir, la formation scoute à la sainteté et à l’ardeur spirituelle ne vise pas que le garçon qui en bénéficie, mais doit retomber sur son entourage et servir des causes plus larges. C’est encore le Christ des Méditations scoutes qui parle : “Si mes scouts sont ce qu’ils doivent être -et pourquoi ne le seraient-ils pas? -il doit y avoir quelque chose de changé en mieux : plus de concorde entre les citoyens et plus de ferveur dans la paroisse, plus de prospérité dans la patrie et dans mon Eglise plus de sainteté” (Père Sevin, Méditations scoutes sur l’Évangile, tome II, Spes, Paris, 1932). Et ce vaste programme s’appuie à la fois sur les moyens traditionnels de l’Eglise, doctrine et sacrements, et sur les moyens propres au scoutisme. Commençons par étudier la formation religieuse et liturgique chez les SdF.

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