Les principes et la promesse

Bien que la loi du père Sevin surnaturalise déjà considérablement la méthode de BP, les SdF décident d’ajouter en entête de la loi, et au fondement de tout leur système, trois principes .
1- Le scout est fier de sa Foi et lui soumet toute sa vie.
2_ Le scout est fils de France et bon citoyen.
3_ Le devoir du scout commence à la maison .

Certes, le texte de la promesse SdF n’engage pas, en soi, à observer les principes. Mais lorsque le futur aspirant récite la loi, selon le cérémonial officiel, il la fait précéder des principes , et c’est encore eux que représentent les trois doigts du salut SdF, signe de l’engagement. Les idéaux de Dieu, famille, patrie inspirent donc tout l’esprit de la promesse, c’est-à-dire de la vie scoute.
Leur importance primordiale (c’est bien là le sens même du mot principe) rejoint la notion, typiquement catholique, de l’intention qui change toute la valeur d’un acte. Or les principes définissent la finalité de la loi : il ne s’agit pas de devenir un homme parfait, mais de servir de grandes causes, avec, bien entendu, à leur tête, Dieu Lui-même. L’observation de la loi en acquiert une valeur parfaite. ” Entre principes et articles, la même relation qu’entre les causes qu’on entend servir et la manière de les servir […] Les principes sont les vérités indiscutables qui éclairent de haut toute la vie du SdF et les dix articles, des conclusions pratiques pour la conduite de sa vie […] Extérieurement, un SdF peut se conduire comme n’importe quel garçon appartenant à une fédération étrangère à la nôtre […] . Mais, si l’on réfléchit, comme tout est profondément dissemblable du seul fait de l’existence de ces principes !” (Père Maréchal, o.p., SdF et ordre chrétien, éditions de la Revue des Jeunes, 1932, p.44-45). Evidemment, le premier principe est alors le seul déterminant. C. Lenoir, qui cherche quel idéal motive les EdF, pense que seul le patriotisme peut les motiver. Ce n’est pas assez pour que leurs vertus sortent du cadre purement naturel . Seule la cause divine valorise la pratique de la loi. “Tous les articles de la loi exigent efforts. Rien de tout cela, même fait parfaitement, ne vaudrait rien pour l’éternité, si nous n’y mettions une pensée surnaturelle et si nous ne le faisions en esprit de Foi” (Abbé H. Escoffier, in BdL n°57, avril 1935).

Laissons parler les aumôniers : “On nous a beaucoup reproché notre prétendu naturalisme . Nous a-t-on assez dit que nous ne cultivions que des vertus naturelles, découronnées pour ainsi dire, et bonnes pour des mécréants! Et pourtant, qu’est-ce donc que le surnaturel sinon l’orientation de notre vie toute entière vers Dieu par la charité? Et que demandons-nous à nos scouts, avant toutes choses, par le premier de nos principes, sinon de soumettre toute leur vie aux réalités de leur Foi? Et que leur demandons-nous ainsi sinon la charité, cette charité qui rend précieux et méritoires les actes des autres vertus scoutes?” (Père Héret, o.p., in Le Chef de jt-août 1926, p.7). Ou encore : ” Ce premier principe que nous avons placé, nous les SdF, nous, les scouts catholiques, en tête de notre loi, de cette loi dont il commente l’observance, dont il surnaturalise la pratique” (Chanoine Cornette, in Le Chef n°49, janv.1928, p.3). Le père Sevin explique la nécessité de ces articles : “Les SdF auraient jugé impertinent de rejeter la loi scoute qui a été telle quelle approuvée et bénie par plusieurs Papes et par les évêques d’Angleterre, de Belgique, d’Italie, bref, de tous les pays où le scoutisme catholique a germé. Mais cette loi, qui n’est après tout qu’une transcription concrète du Décalogue et du sermon sur la montagne , c’est dans un esprit catholique qu’ils l’appliquent, c’est dans leur Foi, “à laquelle ils soumettent toute leur vie”, qu’ils puisent les motifs surnaturels de l’observer” (Père Sevin, s.j., Le Scoutisme, Spes, Paris, 1922, p.305). Enfin l’abbé Richaud, aumônier de la Ière Versailles, montre que le service de la Foi sert à la fois de cause finale et de cause efficiente à la vie scoute : “Votre premier principe […] surmonte heureusement votre loi scoute et lui donne sa forme catholique. En vous inspirant de ce principe, dans toute votre vie de campeurs, vous vous placez, non seulement au couronnement, mais encore au point de départ de vos efforts, dans un courant divin et surnaturel” (Abbé Richaud, Veillées de prière, Téqui, Paris, 1928, 4e édition, p. XVI (avant-propos).

On constate que les aumôniers, tous formés à l’époque du renouveau thomiste , et en particulier les pères dominicains Héret et Maréchal, voient dans les principes l’intention élévatrice des vertus naturelles . Cette fois-ci, c’est du premier principe lui-même, non plus par rapport à la loi, que nous parle le père Doncœur, de la troupe au clan. “Le scout est fier de sa Foi, disait la loi (à l’adolescent) . Cela signifiait que le scout devait gentiment accomplir ses devoirs de piété sans rougir. Le routier, lui, sera fier de sa Foi, c’est-à-dire qu’il la considérera comme la chose la plus belle qu’un homme puisse posséder, qu’il la portera au grand jour et en tout lieu. […] . Le scout lui soumet toute sa vie. Cela signifiait que le garçon devait obéir à sa Foi en toutes choses. Mais pour le routier seulement cette maxime va prendre toute sa portée. C’est, en réalité, tout le laïcisme, tout le paganisme modernes qu’il attaque de front” (Père Doncœur, La reconstruction spirituelle du pays : les SdF, La Hutte, Paris, 1926, p.15).

Voilà donc l’esprit qui anime tout l’engagement de la promesse, et qui en change toute la portée. “Sur mon honneur, avec la Grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Eglise, la patrie, à aider mon prochain en toutes circonstances, à observer la loi scoute”. On retrouve à peu près le texte de BP avec, en plus, le service de l’Eglise et la précision “avec la Grâce de Dieu”. Cinq mots qui métamorphosent l’esprit de la promesse, cinq mots qui annihilent toute accusation de naturalisme. “Avec la Grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu”, à la fois source et aboutissement. Le refrain du chant de promesse poursuit la même conception :
Je veux T’aimer sans cesse, de plus en plus,
Protège ma promesse, Seigneur Jésus.

Dans le texte même de sa promesse, le SdF précise qu’il a besoin de la Grâce divine , que l’homme ne peut, par ses propres forces, répondre aux exigences de la loi scoute. “Ce que tu vas promettre, c’est de vivre en parfait chrétien, de pratiquer les vertus surnaturelles de charité, d’obéissance, de franchise, de pureté. Or, <> . Non pas : peu de choses, mais rien. Tu ne peux donc tenir ta promesse scoute sans la Grâce de Dieu” (Père Sevin, s.j., Pour devenir SdF, Spes, Paris, 1931, p.83). La faiblesse humaine paraît telle qu’on se demande comment on ose s’engager : seule la confiance en la toute puissance divine redonne courage. C’est l’éternel balancement entre humilité et vertu d’Espérance. “En réfléchissant à ces multiples devoirs […], en considérant d’autre part ma faiblesse et ma lâcheté passées, ne serait-il pas plus sage, plus prudent, moins téméraire, de me retirer tout simplement ; de ne pas m’engager ainsi sur mon honneur ? […]  Ce serait refuser d’être un scout, et cela, je veux l’être : je veux l’être, ô mon Dieu, oui, je le veux, mais en sachant bien que je ne puis l’être qu’avec le secours de votre Grâce” (Anonyme, in BdL n°50, jt. 1934).

Et cet appel à la Grâce n’est pas un vain mot, que le scout prononce dans son texte sans même s’en apercevoir . Au contraire, chez les SdF, on prépare sérieusement le garçon à sa promesse, au niveau spirituel. La veille de son engagement, quand la nuit est tombée, commence sa veillée d’armes, à l’exemple de celle des chevaliers d’antan avant leur adoubement. “Je viens, avant de m’engager, Vous demander, dans cette veillée, votre bénédiction et votre aide […] pour avoir la force de la tenir toujours (ma promesse), en toutes circonstances, malgré tous les obstacles” (Abbé de Grangeneuve, Notre promesse, La Hutte, Paris, 1932, p.26). Toute la troupe prie pour le futur aspirant, le chef ou l’aumônier lisent des méditations.” L’âme (du scoutisme), c’est la libre promesse que fait, devant toute la troupe, le novice, lorsqu’il devient aspirant. Après y avoir mûrement réfléchi, après avoir prié durant la veillée d’armes devant le Saint Sacrement, le nouveau SdF prend l’engagement” (Une méthode de formation d’élites : le scoutisme, brochure des SdF). Le lendemain, le novice communie et enfin, juste avant de prononcer sa promesse, il reçoit la bénédiction du prêtre , “appel de Grâces actuelles sur le scout afin que celui-ci persévère dans sa généreuse décision, avec la Grâce de Dieu” (Père Maréchal, o.p., op.cit., p.60). Le scout conclut :” Lorsque j’ai prononcé ma promesse, je me suis engagé sur mon honneur. Mais comme je savais trop bien que cette garantie même est peu de chose, j’y ai ajouté celle de la Grâce de Dieu” (Mgr. Lavarenne, La prière des chefs, coll°” La vie intérieure pour notre temps”, Bloud et Gay, Paris, 1937, p.55).

Le sens de l’honneur, vertu chevaleresque par excellence, est magnifié par cette référence historique d’un idéal médiéval où vertus viriles et religion s’avèrent inséparables. On a assez reproché aux SdF de pratiquer une religion de l’honneur ! Mais ils savent donner un sens chrétien à cette vertu, qui ne s’oppose absolument pas à la conscience de la faiblesse humaine. “L’honneur qui est en effet le fondement du scoutisme n’est pas seulement le culte de la dignité personnelle, mais le culte du Bien” (Père Héret, o.p., La loi scoute, Spes, Paris, 1929, p.38). L’abbé Richaud le décrit superbement : “Mon honneur, c’est non seulement ma réputation aux yeux des autres, mais c’est encore et surtout, ma dignité sous votre regard, ô mon Dieu. […] . L’honneur, au sens chrétien du mot, est synonyme d’honnêteté, de cette netteté, de cette pureté que doit refléter tout notre être, sous les regards de Celui qui nous a tout donné et qui nous demandera compte de tout. Par conséquent, être un homme d’honneur, c’est avoir le respect de tout ce que Dieu a mis en nous. […] . C’est avoir la passion de la chasteté et de la Vérité. […] . Père qui êtes dans les Cieux, dont Jésus, le fils, ici présent, est l’honneur, instruisez-moi de cette divine notion […] . Agir par honneur, c’est agir par amour du bien en soi, et non par plaisir ou par intérêt. C’est agir, épris de Vous, Jésus, Type vivant et complet de la Perfection” (Abbé Richaud, op.cit., p.29-30 et 64-65). L’auteur de ces lignes rappelle que, d’après La Chevalerie de Léon Gautier, les futurs chevaliers, pour leur veille d’armes, méditaient toute la nuit sur l’invocation : “Seigneur Jésus, accordez-moi l’honneur”. C’est donc dans l’idéal chevaleresque que les notions d’honneur et d’humilité se complètent sans se contredire. “Contre ma faiblesse et mes défaillances possibles, les deux forces les plus puissantes se coalisent : mon honneur, votre Grâce” (Abbé de Grangeneuve, Notre promesse, La Hutte, Paris, 1932, p.27).

Malgré le parallèle entre promesse et adoubement, “la promesse n’est pas une obligation qui lie par serment ou par vœu. […] . Elle n’est même pas un engagement sous peine de péché véniel […] L’obligation d’honneur ne doit pas naître de la peur du péché ou de la défaillance, mais de la fidélité que l’on veut garder à sa parole, à titre d’homme et de catholique, surtout par amour pour le Seigneur Jésus” (Père Delmas, in BdL n°55, févr.1935). “Il y a dans toute vie chrétienne deux aspects : un aspect négatif, qui consiste à éviter le péché; un aspect positif, qui consiste à faire le bien. Eviter le péché, c’est le minimum obligatoire pour tous. Faire le bien, c’est l’horizon ouvert sans limite à la générosité des cœurs fidèles […] Ma promesse m’engage dans cette voie du bien” (Abbé de Grangeneuve, op.cit., p.40-41). Il s’agit alors de pure Charité. “Cette promesse est un engagement solennel de faire un peu plus que ce à quoi on est obligé. Elle est dans la ligne des promesses du baptême. Elle en est une précision. Elle peut aider un garçon à en prendre une meilleure conscience” (Père Forestier, o.p., Scoutisme, méthode et spiritualité, 1940, p.117).

La comparaison de la promesse avec le baptême, ou plutôt avec la profession de Foi, renouvellement des vœux du baptême >à un âge conscient, avec engagement personnel parcoure les écrits des SdF. “Délibérément, et avec un esprit de décision qui engage toute sa vie, (le scout) reprend lui-même, au jour de sa promesse, le choix qu’un autre avait fait à sa place au jour de son baptême” (Père Héret, o.p., La loi scoute, op.cit., p.21). La promesse aide effectivement à conserver l’état de Grâce reçu le jour du baptême. Elle le prolonge donc. De plus, elle engage à vivre en permanence avec, comme premier principe d’action, sa Foi . Seulement, par rapport à la profession de Foi catholique, les articles de la loi donnent au scout des moyens concrets de vivre sa Foi, plus faciles à réaliser que la formule très générale et abstraite de l’Eglise : <>. D’où l’utilité de la promesse scoute en plus de la profession de Foi, car si toutes deux renouvellent les vœux du baptême, la promesse est plus adaptée à l’adolescent, qui se repère facilement dans la loi scoute et peut juger sans difficulté s’il est fidèle ou non à ses articles.

On peut se demander si le parallélisme avec le baptême n’est pas quelque peu exagéré. Mais lorsque le père Delmas se demande : “Cette promesse, jusqu’où étend-elle la limite?” Il répond, en caractères gras : “Jusqu’À LA Perfection!” (Père Delmas, in BdL n°55, févr.1935). Il semble que beaucoup y trouvent, effectivement, une école de sainteté, puisque même des prêtres prononcent leur promesse, bien qu’ils n’y soient pas obligés par l’Association pour assurer la fonction d’aumônier. Le commissaire Forestier raconte : “Au cours d’une cérémonie très émouvante, dans le silence de la nuit , le père Doncœur prononça sa promesse scoute, devant le tabernacle ouvert ” (Forestier, in Le Chef n°28, mai-juin 1925). À la neuvième retraite des aumôniers scouts, du 24 au 28 septembre 1934, “quarante-trois aumôniers renouvellent devant le Saint Sacrement exposé la promesse scoute” (in BdL n°51, oct.1934). Et, pour tous ceux qui n’ont pas la vocation, “la promesse est un véritable engagement à un sacerdoce laïque” (Cardinal Verdier à Chamarande, en 1934).

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